Après les élections générales, this is Grey Britain
Les élections générales britanniques constituaient un tel enjeu, après cinq ans d’un gouvernement Cameron destructeur, qu’elles sont la raison pour relancer le Cri du peuple (et lancer un nouveau blog NDLR).
D’autant que le système politique d’outre-Manche nous est globalement incompréhensible alors que la Grande-Bretagne est l’autre acteur majeur de l’Europe politique, si ce vocable fait sens pour vous. Avant de revenir sur ce qu’il s’est produit ce 7 mai 2015, revenons sur une anecdote.
Lorsque nos instituts de sondage hexagonaux se plantent en livrant des estimations erronées à l’occasion des soirées électorales, ils ont la mauvaise habitude de s’en prendre à l’électorat qui n’a pas voté conformément à leurs prévisions ou – pire – qui s’est ingénié à donner de mauvaises réponses pour les plonger dans l’embarras. De l’autre côté du Channel, quand on se plante, on présente ses excuses, à l’instar de Yougov, en expliquant pourquoi on n’a pas cru à ce qui s’est passé.
Le 7 mai 2015 donc, le storytelling était bien huilé. Rien ni personne ne devait empêcher l’arrivée au 10 Downing street d’Ed Milliband, après 5 ans de coalition entre Tories (conservateurs) et Lib Dems (libéraux-démocrates). Sauf que l’électorat en a décidé autrement, pour un grand nombre de raisons. Quoiqu’en pense le Labour, il est encore marqué, cinq ans après la chute de Gordon Brown, par sa longue séquence au pouvoir sous la houlette de Tony Blair. Période qui n’a pas laissé de bons souvenirs à l’électorat de gauche, de la guerre en Irak en passant par le tournant du blairisme.
D’ailleurs, Ed Milliband, qui avait remporté la direction du parti d’un cheveu avec le soutien des syndicats, était sensé incarner la gauche du Labour. Or, il a lui-même opéré un revirement qui n’a pas plu à sa base. On se souviendra du bras de fer avec les syndicats, dont bon nombre ont depuis coupé les vivres au Labour, et dont nombre de membres ont préféré ne pas se déplacer le 7 mai, privant les travaillistes d’un soutien pourtant indispensable.
S’il n’y avait que ce revirement… Il convient de se rappeler la mollesse du soutien du labour aux syndicats en lutte contre les privatisations menées par la coalition au pouvoir, notamment lors de la vente de Royal Mail ou encore de la remise sur le marché concurrentiel « libre et non faussé » de la ligne de chemin de fer de l’est. Sans oublier le changement de ton sur l’immigration, un comble de la part d’Ed Milliband fils d’immigrés, soudain reconverti aux joies de la répression et du contrôle (toute ressemblance avec un premier ministre hexagonal bien connu…). Bref, ils sont réduits à 232 élus dans un parti privé de tête. Parmi les ténors travaillistes qui ont mordu la poussière, notons Ed Balls, battu par une chanteuse d’opéra (!) ; Douglas Alexander, le spécialiste des élections, scalpé par une gamine de 20 ans et, tout un symbole, Murphy, chef du Labour en Ecosse…
L’Ecosse a en effet pesé lourd dans la balance. La campagne commune des travaillistes et des tories à l’occasion du référendum pour l’indépendance a laissé des traces, dont le SNP à pleinement profité. Les indépendantistes ont réalisé le hold-up du siècle avec un discours anti austéritaire. Le SNP rafle 56 des 59 sièges en Ecosse, confirmant la prédiction de Nicola Sturgeon à l’issue du référendum : « une défaite qui annonce des victoires futures ». En Ecosse, là où ils pouvaient présenter une chèvre pour la faire élire sans coup férir, les travaillistes se retrouvent dans la même position que les conservateurs : honnis et discrédités.
Il reste le Pays de Galles pour faire illusion malgré Plaid Cymru qui retrouve une seconde jeunesse avec un discours ancré à gauche, contre l’austérité. Les pertes du Labours sont également sensibles. Il reste Manchester, York, Londres (seule secteur ou le parti progresse nettement), Birmingham et le Nord-Est. En guise de consolation, relevons que les travaillistes ont tout de même conquis de nombre de bastions détenus jusqu’alors par les Lib Dems, autres grands perdants de la soirée.
Les Lib Dems, troisième force politique en 2010 a été cannibalisé par les tories et achevée par le Labour. Pas un bastion, à de rares exceptions, n’a résisté. Le sud-ouest du pays a choisi le vote conservateur, nettement. Ce vote rural encercle quelques enclaves urbaines travaillistes, et se paie le luxe de résister à UKIP, profitant d’un vote tactique (vote utile) pour faire barrage à une coalition annoncée entre Labour et SNP.
L’extrême-droite d’ailleurs parlons-en. Se focaliser sur la défaite du seul Nigel Farage, leader d’UKIP, masque mal l’ancrage électoral qui s’accentue : un seul MP (membre du parlement) mais le courant s’affirme en troisième position nationalement avec 3 900 000 voix. UKIP ne manque pas de souligne qu’il obtient plus de suffrages que les écossais du SNP. On note que le BNP (British national party, équivalent britannique du Front national) a perdu 99,7 % de ses suffrages, il ne lui reste plus grand chose de ses 500 000 voix.
Les verts, eux, ont réussi à consolider leurs positions… à Brighton, grâce à une solide implantation locale assise sur une campagne contre la fracturation hydraulique. Malgré un clip de campagne salué internationalement, le parti a encore du mal à franchir l’étape nécessaire pour s’affirmer comme une alternative crédible au Labour. Rappelons que certains candidats Green appelaient à voter Labour, plutôt que pour leurs candidatures. Cela n’a pas aidé. Mais ces appels témoignent aussi d’un courant qui a traversé la gauche face à l’enjeu. Devant la possible victoire des Tories, qui ouvrirait la voix à un Thatcher II, l’urgence imposait de voter travailliste. Cette vision a aussi marqué d’autres organisations à gauche de la gauche.
Et la gauche de la gauche de la gauche, dans tout ça ? Alliance for Green Socialism, Class War, Communist League, Communist Party Of Britain, Left Unity, People Before Profit, Republican Socialist, Socialist Equality Party, Socialist Labour Party, Socialist Party of Great Britain et autres Workers Party se retrouvent marginalisés. L’extrême-gauche capitalise 57 000 voix. « Respect » retourne à la case départ et son seul parlementaire sortant, George Galloway, est sèchement battu à Bradford par un Labour revanchard. Ses autres résultats sont à l’aune du reste de la gauche, émiettées. Reste Trade Unionist and Socialist Coalition, qui présentait le plus grand nombre de candidats. Elle s’affirme avec 36 000 suffrages… Ses premières réussites électorales dans des scrutins locaux demandent à être confirmées. Mais il n’y a toujours pas de quoi inquiéter le Labour.
La gauche est en piteux état. Et le red Labour, l’aile gauche travailliste, a beau jeu de rappeler les évidences : « La clé du succès pour le parti est de regagner ces 5 millions d’électeurs de la classe ouvrière que nous avons perdus depuis 2010. Ils n’ont pas quitté le navire ou viré conservateurs, ils ont juste cessé de voter. Et si nous voulons les regagner, nous avons besoin d’offrir au peuple un projet qui mérite que l’on vote pour lui ». Finalement, cette analyse reste le seul point qui interroge la situation française. Mais les traditions politiques des deux côtés de la Manche sont trop différentes pour aller plus loin dans la comparaison.
Au final, la droite thatcherienne et austéritaire a gagné. Elle a plus que jamais les mains libres. Et la chronique de ses mauvais coups est à venir sur le futur blog Grey Britain.
N. U. avec S. C.
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Bonus vidéo : Gallows « Misery«
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