Rail, postiers, aérien : le bras de fer entre syndicats et tories s’intensifie

La presse conservatrice s’en donne à cœur joie contre les syndicats, alors que des mouvements de grève se multiplient au Royaume-Uni. Les cheminots de Southern Rail sont en lutte contre une direction qui laisse pourrir la situation depuis des mois. Les postiers mènent campagne aussi depuis des mois contre les fermetures de bureaux de poste. Salariés du service de livraison Argos, de Weetabix, bagagistes des aéroports… les mouvements de grève se succèdent. La conflictualité sociale atteint un niveau symbolique rarement égalé depuis une dizaine d’années. Pourtant, la réalité est un peu plus contrastée.

La presse conservatrice joue l’effroi en mettant en avant une poignée de syndicalistes qui voudraient arrêter le pays comme dans les années 80. Mais les chiffres ne donnent pas le même son de cloche. Selon l’Office National des Statistiques, on décompte 281.000 journées de grèves au Royaume-Uni pour l’année 2016, tandis que l’on dénombrait 170.000 jours de grève pour l’année 2015 et 788.000 en 2014.

Sur les réseaux, les soutiens à la grève se déchaînent

La Grande-Bretagne est donc bien loin du bras de fer des années 80, où l’étiage le plus bas se situait à 1.9 millions de journées de grève en une année pour atteindre le pic de 27.1 millions de journées de grève en 1984. Pour mémoire, le record de journées de grève reste établi par la grève générale de 1926 avec 1.7 millions de salariés en grève, l’année s’était soldée par 162 millions de jours de grève.

Les conflits actuels ne datent pas d’hier. Ainsi, si les usagers de Southern Rail sont à bout c’est que la confrontation, qui s’est durcie cette semaine, dure en réalité depuis le printemps. La compagnie entend confier aux conducteurs la fermeture et l’ouverture automatique des portes des voitures, une tâche actuellement assurée par un second employé : le contrôleur. La réforme mettrait en danger la sécurité des usagers, assurent les syndicats.

Les fonctions assurées par les contrôleurs, comme la vérification que les conditions de sécurité sont garanties avant le départ du train, seraient désormais dévolues au seul conducteur. Il appartiendrait à ce dernier de vérifier, via les cameras embarquées, en quelques secondes s’il peut repartir. Les syndicats craignent qu’à l’avenir le conducteur soit le seul employé dans le train. Certes, Southern Rail a promis de ne pas toucher aux effectifs. Un engagement loin de rassurer les organisations de salariés.

La Première ministre, Theresa May, est intervenue pour soutenir la direction, qualifiant la grève d’ « affligeante ». « L’unique objectif des syndicats est de mettre Southern Rail à genoux », a critiqué, de son côté, le ministre des Transports.

Les tories menacent de faire appel à l’armée et dénoncent la prise en otage de 300.000 usagers. On retrouve dans leur rhétorique les arguments usés sur une grève qui n’aurait que des motivations politiques. Mick Cash, secrétaire général du syndicat RMT, a démenti :

“Nous sommes une organisation sérieuse qui affronte des questions sérieuses sur la sécurité des chemins de fer. C’est notre priorité absolue. RMT n’est pas un parti lié à une quelconque conspiration trotskiste pour faire tomber le gouvernement. Nos adhérents de Southern Rail sont en grève cette semaine en défense de la sécurité des voyageurs et cela reste le but de notre syndicat dans son ensemble.

Le syndicat a appelé le gouvernement à imposer une « trêve de Noël ». Chris Grayling, secrétaire d’Etat aux transports, a affirmé en réponse : « J’ai renouvelé mon offre de discussions avec les organisations si elles cessaient la grève mais elles ont refusé de venir à la table des négociations ».

Andy McDonald, du Labour party, aux côtés des usagers

Derrière ce discours convenu, là encore, les actes semblent un peu différents. Ainsi, Peter Wilkinson, directeur des services Passagers au Département des Transports, aurait donné sans fard sa vision des faits lors d’une réunion publique organisée par le membre conservateur du parlement Gavin Barwell, promu depuis au gouvernement :

“Dans les trois années à venir, nous allons affronter des bagarres et des grèves et j’ai besoin de votre soutien, a alors déclaré Peter Wilkinson. Nous devons les briser. Ils ont tous contracté des emprunts pour acheter des voitures et ont tous des cartes de crédit. Ils n’ont pas les moyens de rester longtemps en grève et je vais les pousser dans leurs retranchements. »

Un discours qui renvoie clairement à la philosophie thatchérienne du « dialogue social ».

Coté travailliste, le maire de Londres – tout en condamnant le refus des conservateurs de négocier – appelle le RMT à cesser la grève. Sadiq Khan a relevé que, depuis son arrivée à la tête de la capitale britannique, le nombre de jours de grève a diminué de 92%. Il a profité pour réclamer que la commutation des lignes Southern, Southeastern and South West Rails devrait être dévolue à Transports for London (TfL), l’autorité londonienne compétente en la matière.

Sadiq Khan a mis en opposition « le chaos qui affecte Southern Rails, placé sous la responsabilité du gouvernement, et la manière dont TfL a réussi à amener les syndicats à renoncer à la grève dans le métro en menant des négociations :

« Il est évident que les lignes souffriraient de moins de grève si elles étaient placées sous la responsabilité de Transports for London et que les tarifs seraient plus abordables. »

Le Shadow Secrétaire aux Transports, Andy McDonald, plaide, pourtant, en faveur d’une étude indépendante sur la nécessité de transférer plus de compétences en matière de transport ferroviaire de voyageurs à la ville de Londres. Revenant sur le conflit au sein de Southern Rail, le travailliste a estimé que « Chris Grayling, secrétaire d’Etat aux transports, avait les moyens de mettre fin au conflit s’il le voulait :

« Plutôt que d’employer la menace d’interdire les grèves, il devrait plutôt faire son boulot et ouvrir des négociations », a asséné Andy McDonald.

La tension est encore montée quand la première ministre, Theresa May, a intimé à Jeremy Corbyn, leader du parti travailliste, d’imposer la fin de la grève aux organisations syndicales, puisque celles du transport ferroviaire sont membres du Labour. Le Labour est d’ailleurs divisé sur la question. Diane Abbott, membre historique de la gauche travailliste, soutient la grève des transports. Mais Meg Hillier, présidente de la commission des comptes publics, estime, pour sa part, que les syndicats « se tirent une balle dans le pied en appelant à la grève pendant la période des fêtes ». Enfin, Tom Watson, deputy leader du parti travailliste, a appelé à la démission du secrétaire d’Etat aux transports.

Du côté des postiers, le syndicat CWU a appelé à une grève de cinq jours, incluant la veille de Noël, en protestation face aux destructions d’emplois ; le nouveau programme des pensions et la privatisation des bureaux de Crown Post. Le syndicat a organisé une manifestation devant le siège du Département de l’Economie lundi.

Les personnels de cabine de British Airways du syndicat Unite seront en grève le jour de Noël et pour le Boxing Day à propos des salaires. Enfin, Unite a appelé les employés au sol de 18 aéroports à cesser le travail ce vendredi 23 et le 24 décembre encore sur des questions salariales.

Silvère Chabot

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