Crise du NHS : Theresa May opte pour le déni

Si les Prime Minister’s Questions (PMQs, questions au premier ministre) devaient être un indicateur de la santé de la politique britannique, c’est peu de dire qu’elle est aussi fragile que celle du National Health Service. Le NHS, le système de santé publique du Royaume-Uni, s’enfonce dans la crise. Deux de ses patients sont décédés la semaine dernière alors qu’ils attendaient sur des brancards. Le gouvernement se retrouve donc une nouvelle fois sur la sellette. Et le NHS a été au coeur des PMQs de ce mercredi 11 janvier 2017.

Jeremy Corbyn, leader du Labour party, a demandé à Theresa May de venir en urgence au parlement lundi 9 janvier pour s’expliquer, elle n’en a rien fait, envoyant le très contesté ministre Jeremy Hunt à la Chambre. Disparu des écrans depuis des semaines, ce dernier n’a pas fait dans la dentelle. Pour le secrétaire à la santé, la crise des urgences n’est pas liée au manque de financements ni de personnel. Selon lui, ce sont les patients qui ont provoqué la crise du NHS en se rendant en masse aux urgences.

Le Secrétaire à la Santé a déploré que les Britanniques aillent aux urgences pour des « problèmes non urgents », plutôt que d’aller voir leur médecin. En l’occurrence, il sait de quoi il parle. En 2014, il avait déjà provoqué un tollé en expliquant doctement qu’il avait amené un de ses enfants aux urgences du NHS parce qu’il « ne voulait pas attendre un rendez-vous » chez son généraliste.

Le délai moyen pour voir un médecin généraliste peut atteindre trois semaines. Dans de telles circonstances, comme Jeremy Hunt lui même, les Britanniques décident d’aller aux urgences. La Croix-Rouge britannique a dénoncé une situation alarmante du système de santé. Pour Jeremy Hunt, la crise est localisée à quelques établissements et la Croix Rouge a tort de s’exprimer publiquement de manière alarmiste. Il va de soi que la majorité des Membres travaillistes du Parlement lui ont démontré, exemples à l’appui, que l’asphyxie du NHS est généralisée et qu’il traite cette question avec désinvolture.

Tous les professionnels de santé tirent en effet le signal d’alarme, notamment les responsables du Royal College of Physicians (RCP). Cette association professionnelle respectée estime que si le gouvernement ne débloque pas des fonds en urgence pour mettre fin au manque de personnels et à la paralysie, on court à la catastrophe. Selon le RCP, le NHS, débordé et manquant de personnel qualifié, est à la limite de ne plus pouvoir soigner les patients. Le service public de santé ne serait plus capable de traiter les urgences en moins de 4 heures. Des infirmières notent que des patients attendent jusqu’a 23 heures dans des brancards, faute de lits disponibles.

Les ministres de Theresa May gardent le silence. Seul le département de la santé s’est contenté de répondre qu’il fallait se concentrer sur les économies au lieu de réclamer de l’argent… Il estime que le personnel pourrait gagner 2% en productivité, sans qu’il ne soit question de relever les salaires. La Première ministre enfonce le clou en affirmant que le NHS dispose d’un budget suffisant pour faire face.

Une affirmation démentie par Meg Hillier, présidente de l’observatoire des dépenses de la Chambre des Communes. “A l’occasion de neuf rapports et de multiples auditions sur le sujet du NHS cette année, les inquiétudes concernant la viabilité du budget ont été très claires”, écrit Meg Hillier. La dégradation est telle que les 8 milliards par an promis par le gouvernement ne suffisent plus à donner de l’oxygène à un budget réel estimé à 116 milliards.

Les études convergent toutes sur ce point crucial : le NHS ne peut fonctionner à pleine capacité que si le budget réel est nettement revu à la hausse. Il faudrait autour de 158 milliards de Livres par an. On n’en prend pas la direction, le financement est revenu au niveau de l’an 2000, avant les mesures prises par Tony Blair.

Les deux tiers des établissements sont désormais en déficit, 950 millions de livres ont été retirés du budget destiné à l’entretien des hôpitaux, pour payer les salaires. Du côté du personnel, on note d’ailleurs que les postes vacants n’ont jamais été aussi nombreux. Ce sont ainsi 23,443 postes d’infirmières – l’équivalent de 9% des effectifs – et 6,207 postes de médecins, soit 7% de ces emplois, qui sont non pourvus.

C’est dans ce contexte que les questions au Premier Ministre se sont déroulées. Cette fois Jeremy Corbyn a calé son agenda avec l’actualité, et concentré ses questions sur le NHS. Il a commencé par citer les propos de la Croix rouge, évoquant une « crise humanitaire ».

« Est-ce que la Première ministre est d’accord avec le secrétaire d’Etat à la santé pour lequel le meilleur moyen de résoudre la crise qui voit les patients attendre quatre heures est de modifier les chiffres de manière à ce que personne ne se rende compte de ces délais ?”

Theresa May a qualifié les propos de la Croix rouge comme « irresponsables ». « Nous voyons tous des crises humanitaires par le monde. Employer ce mot pour décrire la situation du NHS, qui a accueilli 2.5 millions de personnes en plus l’an passé est irresponsable », a tranché la Première ministre. Elle a reconnu, cependant, une « pression importante » sur le NHS « en hiver ».

Jeremy Corbyn est revenu à l’assaut, évoquant les propos de nombreuses organisations professionnelles de la santé qui tirent le signal d’alarme à propos de la situation du NHS. Le vétéran socialiste a questionné : « Si la Première ministre n’écoute pas la Croix Rouge, qui écoutera-t-elle ? »

Theresa May a repris les arguments controversés sur les financements supplémentaires dont disposerait le service public de soin. « Le fait est que plus de 2.500 personnes supplémentaires sont traitées chaque jour dans un délai inférieur à 4 heures parce que le gouvernement a augmenté les effectifs. » Cependant, elle a fini par admettre, devant la succession d’exemples, « un petit nombre » de problèmes.

Mais elle a tenté de reprendre l’avantage en citant la membre travailliste du parlement Caroline Flint, considérée comme proche de l’aile droite du Labour.

« (Jeremy Corbyn) parle de crise, je lui suggère d’écouter l’honorable membre du parlement pour Don Valley (Caroline Flint) qui a dit ceci : « Avec le Labour, c’est toujours une crise, le NHS est à genoux, nous devons être un peu plus adultes sur le sujet. »

Elle a ensuite mené une attaque en règle sur les propositions de Corbyn évoquant un impôt sur les sociétés et un salaire maximal. « Il a prouvé qu’il n’était pas seulement incompétent mais qu’il détruirait notre économie et qu’il dévasterait notre NHS ».

Jeremy Corbyn n’a pas manqué le timing. Il a mis sous pression Theresa May qui reconnait quelques incidents mineurs mais préfère dénoncer l’attitude irresponsable de la Croix rouge qui alerte sur la crise humanitaire. Elle a fini par concéder une l’organisation d’une convention nationale pour discuter des solutions sur le long terme, sans lâcher le moindre penny supplémentaire.

Theresa May a aussi su habilement utiliser les tensions internes au Labour et utiliser les arguments des opposants à Corbyn pour étayer sa position.

Silvère Chabot

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *