Contre ses propres engagements, Theresa May forme un gouvernement minoritaire

Après tout, elle n’est plus à un reniement près. Entrant au 10 Downing Street à l’été 2016, Theresa May avait promis qu’elle ne convoquerait pas d’élections générales anticipées. Pendant la campagne rendue nécessaire par son changement de pied sur le sujet, elle avait pris position fermement :

« Si je perds six sièges, je perdrai cette élection et Jeremy Corbyn prendra ma place pour négocier avec les dirigeants européens ».

A l’issue du scrutin qui s’est tenu le 8 juin, les conservateurs ont perdu non pas six mais douze sièges. Theresa May a annoncé, ce vendredi 9 juin, qu’elle forme un gouvernement. Elle a obtenu le soutien du Democratic unionist party (parti unioniste démocratique d’Irlande du Nord, connu pour son engagement en faveur du rattachement à la Couronne britannique) et de ses dix membres du parlement.

L’actuelle première ministre dispose donc du soutien, a priori, de 326 parlementaires à la Chambre des communes, soit la stricte majorité absolue. Ce qui est, pour l’heure, moins clair est la nature du soutien que manifestera le DUP : un accord formel ou des votes au cas par cas. Mais les unionistes ont fait savoir que ce deal a un prix et que les conservateurs l’auraient accepté.

La possibilité d’un statut particulier pour l’Irlande du Nord dans le cadre des futures relations avec l’Union européenne pourrait bien être (en partie) ce prix. Le DUP n’a pas mené campagne en faveur du Brexit, ses dirigeants étaient partagés sur la question qui engage, aussi, l’avenir des relations avec la République d’Irlande.

Alors que la majorité des électeurs nord-irlandais s’est prononcée en faveur du maintien dans l’Union européenne et que la question du rattachement avec l’Eire prend une nouvelle ampleur, comme le montrent les 7 sièges obtenus par le Sinn Féin (qui milite pour la réunification de l’Irlande), le DUP ne peut plus se permettre de tenir une position rattachiste radicale. On imagine mal que la formation, qui dirige le gouvernement de coalition à l’Assemblée législative d’Irlande du Nord, prenne le risque de s’aliéner tout ou partie de son électorat en soutenant un Brexit dur.

Pour autant, après avoir laissé fuiter ces éléments, la communication officielle du DUP s’est faite plus sibylline :

« Depuis deux ans, les deux partis (conservateurs et DUP) travaillent très bien ensemble. Il n’y a aucune raison de penser que cela ne continuera pas. Mais le point principal reste que, tant que le Labour sera dirigé par une pom pom girl de l’IRA, il ne rentrera pas au numéro 10 ».

Forte de ce soutien, Theresa May a donc rencontré la Reine en début d’après-midi et a obtenu de former un gouvernement minoritaire. Elle l’a présenté comme garant de la stabilité, à défaut de pouvoir évoquer un « leadership fort et stable », lequel lui a été refusé par les urnes.

« Je vais former un gouvernement qui va fournir de l’assurance et guider la Grande-Bretagne en avant dans cette période critique pour notre pays, a martelé Theresa May. Dans tout juste dix jours, ce gouvernement mènera les pourparlers en vue du Brexit. »

Pour autant, il faudra que la première ministre dispose d’une majorité, déjà au sein des conservateurs. Or, dès la nuit précédente, Theresa May a été prise pour cible par bon nombre de ses collègues parlementaires. Sous couvert d’anonymat, l’un d’entre-eux a affirmé qu’elle « ne dispose plus de l’autorité nécessaire pour diriger un gouvernement ».

Plus précis, le backbencher tory Nigel Evans, dans une allusion à la campagne menée par Theresa May, a affirmé : « Nous ne nous sommes pas tiré une balle dans le pied, mais une balle dans la tête ». En coulisses, Boris Johnson, actuel Foreign Secretary et hérault du Brexit, fourbit ses armes. Trahi par son ami de 30 ans Michael Gove, il a dû se retirer de la course à la succession de David Cameron, laissant le terrain libre à May. Pas sûr qu’il continue à accepter de jouer les seconds rôles.

Nicky Morgan, une ancienne du cabinet Cameron, ne cache pas que les jours de la première ministre sont comptés :

« Je pense qu’elle doit rester en ce moment mais, dans quelques temps, que ce soit quelques semaines ou quelques mois, nous (les conservateurs) auront besoin d’un nouveau leadership ».

Le directeur du think tank Bright Blue, qui incarne la tendance libérale des conservateurs et qui bénéficie du soutien de 140 membres tories du parlement, a exigé, lui, la démission immédiate de la première ministre. Il a pointé sa responsabilité personnelle mais aussi celle des politiques qu’elle a impulsées dans la défaite électorale.

Le temps des tempêtes est donc toujours devant la première ministre. Sa responsabilité dans le résultat des élections, qui débouchent sur un parlement suspendu, la fragilise particulièrement. Au pire moment, puisque les négociations avec l’Union européenne vont donc commencer dès la fin du mois, le Royaume-Uni rentre dans ce qui est peut être une des pires périodes d’instabilité politique qu’il ait jamais connues.

La possibilité d’un nouveau scrutin général à la fin de l’année n’est donc pas totalement à exclure. Sauf si les conservateurs parviennent à trouver une solution en interne à leur querelle. Comme ils ont réussi à le faire en 1992 quand John Major a succédé à une Margaret Thatcher déposée par ses propres élus.

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