Face à des tories en plein chaos, les travaillistes serrent les rangs
Il faut toujours des exceptions pour confirmer la règle. Et le Labour ne fera pas exception à celle-ci. Il y a bien quelques irréductibles pour affirmer qu’un « leader plus modéré aurait pu gagner » les élections générales. Mais, dans l’ensemble, le parti travailliste est uni comme il l’a rarement été quelques jours après avoir, enfin, inversé la spirale du déclin en voix et après avoir gagné 32 sièges à la chambre des Communes.
Plus surprenant encore, même ses adversaires les plus acharnés tressent désormais des lauriers à Jeremy Corbyn. Ainsi, Owen Smith, qui a affronté le membre du parlement pour Islington-North lors du leadership de 2016, a « tiré (son) chapeau » à Corbyn après les résultats du scrutin :
« Jeremy a réussi à faire partager nos propositions et à convaincre les gens de leur intérêt d’une manière dont nous n’étions plus capables ces dernières années. Pour cela, je lui tire mon chapeau ».
Hilary Benn, qui a retrouvé son siège à Leeds Central, a également salué la campagne d’une leader dont il a appelé les membres de l’équipe à démissionner il y a moins d’un an. « Beaucoup de jeunes ont été enthousiasmé par la campagne de Jeremy », a-t-il salué dans les colonnes du Financial Times.
Tout aussi révélateur est le changement de ton de Wes Streeting, membre du parlement pour Ilford North. Quelques semaines avant le scrutin, il affirmait que Corbyn ne ferait pas un bon premier ministre. Alors que sa majorité est passée de 589 à 9,639 jeudi 8 juin, il a déclaré :
« Pendant cette élection, nous avons vu Corbyn sous son meilleur jour. Il y a beaucoup de raisons d’être optimiste pour le parti travailliste. »
Dans la même ligne, des figures du parti travailliste, qui s’étaient mises en retrait en opposition à la ligne de Corbyn, ont envoyé des signes discrets. Chuka Ummuna, Yvette Cooper ou encore Angela Eagle ont fait connaître leur disponibilité pour intégrer, à nouveau, le shadow cabinet. Harriet Harman, ex deputy leader du Labour sous Ed Miliband, a reconnu avoir « sous estimé » Corbyn.
Dans ce concert de louanges, Chris Leslie, ancien membre du frontbench Labour, est un peu seul à envoyer un message discordant. Réputé proche de l’aile droite travailliste, il a affirmé que le Labour avait « manqué le but vide ». Selon lui, la victoire ne pouvait pas échapper au parti à la rose. Que les sondages prédisaient tous la victoire tory, sauf deux qui ont annoncé le parlement suspendu, ne semble pas avoir été entendu par Chris Leslie.
Mais le dépit du droitier Leslie ne devrait pas trouver beaucoup d’écho dans un parti qui a enregistré 150,000 adhésions depuis jeudi 8 juin. Ses effectifs approchent les 800,000 et les dirigeants du Labour se prennent à rêver d’atteindre le million d’adhérents.
A côté, l’institut Survation, l’un des deux à avoir annoncé le parlement suspendu et l’écart aussi resserré entre les deux grands partis, a publié sa dernière enquête d’opinion dimanche 11 juin. Elle place les travaillistes en tête des intentions de vote avec 45%, soit six points devant les tories.
Dans ce contexte, Jeremy Corbyn a décidé de repousser un éventuel remaniement de son shadow cabinet, remaniement attendu mais que personne ne lui demande. Là encore, les jeunes qui le composent ont convaincu de leur talent. Un proche de l’aile droite glisse :
« Ils ont pris leur place, ils ont intensifié leur prises de parole, ils ont rendu tout le parti fier ».
Mais ce n’est pas pour des raisons internes que le leader du Labour remet le remaniement. Il a décidé de se concentrer sur l’affrontement politique avec des conservateurs en pleine crise. Profitant du chaos généré par la perspective d’une alliance entre les tories et le Democratic unionist party, il a annoncé qu’il prononcera un Queen’s speech alternatif pour amener les autres partis à se dévoiler dans leur position face aux conservateurs. Il a laissé entendre qu’il pourrait aussi essayer de présenter des amendements au Queen’s speech de Theresa May pour y introduire les points clés du programme travailliste.
En tout état de cause, Corbyn a décidé de se consacrer à exacerber les contradictions qui tiraillent les conservateurs. Ce faisant, il prend une stature dont peu le croyaient capable. Et « Jezza » pourrait bien tenir la promesse qu’il a faite en 2016 d’un retour du Labour au pouvoir avant 2020. La rumeur d’une nouvelle élection anticipée avant la fin de l’année grandit dans les couloirs de Westminster.