Punk : la révolution culturelle de la middle class britannique
Un uppercut apparent dans l’establishment. En 1977, le punk explosait à la face du Royaume-Uni, propulsant ensuite sous les caméras mondiales ce mouvement culturel né, en fait, quelques années plus tôt aux Etats-Unis. Quarante ans plus tard, l’ex emblématique chanteur des Sex Pistols, Johnny Rotten qui a repris son nom d’état-civil – John Lydon -, espère représenter l’Irlande à l’Eurovision 2018. Ce tête-à-queue illustre bien les multiples contradictions d’une culture qui a mêlé générosité et individualisme, réaction et situationnisme, dans la middle-class britannique de la fin des années 1970.
Il convient de se rappeler que la Grande-Bretagne n’a pas connu la grande vague de contestation sociale qui a ébranlé les sociétés occidentales : des campus nord-américains à Prague, en passant par Paris bien évidemment, autour de 1968. S’il y a eu une agitation perlée dans les universités, elle ne prendra jamais une ampleur nationale et ne rencontre pas le mouvement ouvrier. Selon Marie Scot, dans son article « Y eut-il un ‘Mai 1968’ en Angleterre », résume:
« Le « Mai anglais » ne fut ni un mouvement révolutionnaire et politique, ni un mouvement social, ni même un mouvement de la jeunesse. »
En revanche, la déclinaison britannique de cette année singulière a atteint son paroxysme dans les écoles d’art, créées en 1962 et où la contestation politique va percuter la révolution culturelle des années 60. C’est, notamment, sur ce terreau que va, une décennie plus tard, fleurir le punk.
Au mitan des années 70, la Grande-Bretagne est, encore, une société conservatrice. Pas uniquement en raison de l’attitude globale de sa classe dirigeante. La classe ouvrière au Royaume-Uni, notamment dans les bassins industriels du Nord de l’Angleterre, ne brille pas non plus par son ouverture. Une partie de la jeunesse des classes moyennes se sent coincée culturellement entre le marteau et l’enclume.
Par ailleurs, la crise économique, désormais entrée dans une phase durable, bouche l’accès au monde du travail à ces jeunes adultes qui ont pourtant bien fait tout ce qu’on leur a dit. La contestation émergente de l’ordre établi se nourrit, en partie, du fait qu’il n’offre pas de place à la jeune génération, laquelle se voit privée de futur – « no future ». La victoire de Margaret Thatcher aux élections générales de 1979 va encore radicaliser ce mouvement qui partage, avec ses aînés soixante-huitards, de réfuter les « vieilles formes » d’organisation au profit de collectifs aussi réduits que mouvants.
Mais c’est trois ans avant l’arrivée de la « Dame de fer » au 10 Downing Street que commence à émerger la scène punk, qui tire son nom d’un mot d’argot cockney. Cette année-là sort le premier 45 tours reconnu comme tel : New Rose par le groupe originaire de Croydon, dans la banlieue de Londres, The Damned. A côté, revenu de son expérience avec le groupe américain New York Dolls, un ancien des écoles d’art se concentre, avec sa compagne Vivienne Westwood, sur une boutique de vêtements baptisée Sex.
C’est là que Malcolm McLaren suggère à deux de ses clients, Paul Cook et Steve Jones, de changer le nom et le chanteur de leur groupe de rock. La paire sera rejointe par John Lydon, rebaptisé Johnny Rotten et Glen Matlock, un des vendeurs employés par McLaren. The Sex Pistols sont nés.
Dans une des premières apparitions média du groupe, dans l’essentiel New Musical Express, John Lydon résume ce que sera le punk :
« Fondamentalement, le rock est une musique de jeunes, on est d’accord ? Une bonne partie des mômes se sentent trahis. Ils ont le sentiment que la musique leur a été volée par ce public de plus de 25 ans. »
Malgré les drogues et les scandales, malgré The Rolling Stones et Jimi Hendrix, le rock s’est établi au début des années 70. Il est devenu « progressif » et vend par millions, fermant la porte aux musiciens aussi jeunes qu’ambitieux. Elle est là, la trahison dont parle Lydon.
Poussé par McLaren, qui a lu et s’inspire du travail des situationnistes menés par Guy Debord, les Pistols vont utiliser tous les codes de la société du spectacle pour briser ce qui apparaît comme un plafond de verre. En mai 1977, le manager du groupe choisit la semaine de célébration du jubilé d’argent de la reine Elizabeth II, pour sortir le single God Save The Queen et organise la fameuse croisière sur la Tamise pour fêter son événement. L’intervention de la police offre aux Pistols la publicité dont ils rêvaient.
Cette séquence marketing situationniste inspirera un couplet à l’autre phare émergeant de la scène punk en train de naître. Dans (White Man At) Hammersmith Palais, Joe Strummer tacle méchamment :
« Ha Ha, you think it’s funny / Turning rebellion into money ? »
Si leur manager, Bernie Rhodes, est également salué comme un situationniste, The Clash en garde le goût des slogans efficace au service d’une sincérité socialiste indiscutable malgré la signature du groupe chez CBS, alors une des plus grosses compagnies internationales de l’industrie du disque. Porté par deux anciens élèves d’école d’art, le fils de diplomate Joe Strummer et le cousin d’un membre conservateur du parlement Mick Jones, le quatuor va percer, en premier, les frontières géographiques, grâce à une tournée aux Etats-Unis, mais aussi de genre en intégrant des influences reggae et dub puis, plus tard, funk à sa musique.
The Clash, même si le groupe phare de l’anarcho-punk – Crass – lui reproche sa signature avec une major, fait la démonstration qu’il est possible d’instaurer un rapport de forces avec les multinationales du disque et d’imposer authenticité, exigence de qualité et contrôle des prix de vente des disques.
Les Sex Pistols, de leur côté, montrent qu’avec du culot, on peut y arriver. En cela, ils vont ouvrir la voie au Do It Yourself (« fais-le toi même ») qui aura des répercussions immenses sur toute l’industrie du disque. Cette approche, chère à la scène punk, va déboucher sur la création à la fin des années 70 d’une foule de petits labels indépendants dont Rough Trade, qui se spécialise dans la distribution, ou Factory à Manchester.
C’est d’ailleurs le concert des Pistols, rejoint par Sid Vicious à la basse, tenu le 20 juillet 1977 à Manchester qui donne le coup de fouet qui manquait à la scène locale. L’ouverture du set est assuré par les régionaux de l’étape, les séminaux Buzzcocks. Dans la salle se trouvent des membres de ce qui deviendra Joy Division et The Fall ainsi que le futur Morrissey. Cet événement n’est pas anodin dans une ville qui, jusqu’alors, avait tourné le dos au rock, lui préférant des sonorités plus black.
Le punk s’empare rapidement de tout le Royaume-Uni, jusqu’à l’Ecosse d’où jaillit The Exploited. Le groupe, toujours en activité, a rendu célèbre le look du punk à crête. Inspiré des Sex Pistols pour le son et l’attitude, créateur du slogan « Punks not dead » en réponse au morceau de Crass, le groupe est pourtant très politisé. Dans les années 1990, ils créent le morceau Don’t Pay The Poll Tax, en opposition à une des mesures phares de Margaret Thatcher.
L’ombre portée du punk se mesure à tous les styles, et donc groupes, musicaux dont il a permis la naissance jusque dans le monde des musiques électroniques. Aujourd’hui encore, de nombreux artistes se réclament de son héritage. Joli paradoxe pour un mouvement qui clamait « No future !« .
Pour en écouter plus, la rédaction vous a concocté une playlist en 25 titres, sa sélection subjective des meilleurs titres du punk.