Sinn Féin : Gerry Adams transmet le témoin à Mary-Lou McDonald
C’est une page qui se tourne en Irlande et, aussi, en Grande-Bretagne. Dimanche 21 janvier, comme prévu, Gerry Adams a cédé son mandat de président du Sinn Féin à celle qui était son adjointe de longue date : Mary-Lou McDonald. La quadragénaire doit être confirmée par un congrès qui se tiendra le 10 février prochain. Après le décès de Martin McGuinness en mars 2017, la génération des « troubles » finit de passer la main au sein de la mouvance républicaine irlandaise.
Mary-Lou McDonald est née à Dublin, où elle siège aujourd’hui comme Teachta Dála, membre de la chambre basse du parlement de la République d’Irlande. Elle représente la circonscription de Dublin-Centre après avoir longtemps représenté le Sinn Féin, qu’elle rejoint en 2002, au parlement européen. A l’image de Michelle O’Neill, leader du parti en Irlande du Nord, Mary-Lou McDonald n’a aucun rapport avec les trente années de guerre civile qui ont agité les six comtés de l’Ulster.
Ces deux nominations constituent l’aboutissement de la l’évolution politique initiée par Gerry Adams. Avec Martin McGuinness et Declan Kearnay, entre autres, il a revitalisé le vieux parti nationaliste et catholique, le faisant passer du statut de vitrine politique de l’Irish Republican Army (IRA) à celui d’acteur politique majeur tant au nord qu’au sud de l’Irlande. Et s’il n’a pas atteint son rêve de présider les deux gouvernements pour le centenaire de l’insurrection de Pâques 1916, force est de constater que le Sinn Féin a renoué avec le succès électoral et un vrai ancrage politique des deux côtés de la frontière invisible.
En interne, le bilan de Gerry Adams apparaît aussi irréprochable qu’il est controversé à l’extérieur. « Homme de paix » pour les uns, « caution des assassins » pour les autres, le parcours du natif de Belfast est à l’image de l’histoire agitée de l’Ulster. Il est né dans une famille républicaine, dont bien des membres ont été liés à la lutte armée contre la présence britannique.
S’il dément toujours toute implication personnelle dans la lutte armée, de nombreux témoignages font état de l’engagement de Gerry Adams dans les rangs de l’IRA dans les années 1970, quand le Sinn Féin n’en est que la représentation politique. Deux choses sont certaines : Gerry Adams ne s’est jamais désolidarisé de l’action de l’IRA, qu’il a toujours justifié politiquement ; il a échappé à trois tentatives de meurtres, même s’il en conserve encore le souvenir dans sa chair.
Son itinéraire militant débute à l’adolescence. Il est scandé par plusieurs passages derrière les barreaux dont deux fois au titre de l’internement sans procès à la prison de Maze, connue comme « l’université de l’IRA ». Il se fait rapidement remarquer pour ses talents de débatteur et pour son intelligence politique. Il poursuit alors son ascension dans les milieux républicains jusqu’au début des années 80. Vice-président « modéré » du Sinn Féin depuis 1978, il en prend la tête en 1983, avec l’appui de Martin McGuinness, chef d’état major de l’IRA de 1979 à 1982.
En 1983, Gerry Adams est le premier membre du parti républicain à être élu membre du parlement britannique. Il refuse de siéger à la Chambre des Communes. En revanche, il initiera l’abandon de l’abstention à l’assemblée de la république d’Irlande. Dans les années qui suivent, il poursuit avec entêtement l’autonomisation du parti républicain vis à vis de l’IRA. Il mène également des discussions, souvent discrètes, avec les responsables politiques britanniques et américains. Elles débouchent, en 1998, sur la signature des accords du Vendredi Saint, conclus à l’initiative de Tony Blair.
L’ancien premier ministre a rendu un hommage appuyé à Adams et McGuinness, qui dirigeaient la délégation du Sinn Féin à cette époque :
« Ils étaient maître dans la distinction entre tactique et stratégie (…) formant un couple extraordinaire. Que vous les aimiez ou non, peu importe combien vous désapprouviez leurs actions passées, ils avaient du courage en abondance ».
En 2014, son passé le rattrape une dernière fois. Il est arrêté pour le meurtre de Jean McConville en 1972. Veuve d’un catholique, cette mère protestante de dix enfants était soupçonnée par l’IRA d’être une informatrice de la police britannique. Après quatre jours de garde à vue, il est libéré. Il ne sera pas poursuivi en justice.
Il a gagné, en revanche, une solide réputation sur les réseaux sociaux, notamment twitter où il met en scène ses collections d’ours en peluche et de canards en plastique. Depuis 2016, il a préparé sa succession, ouvrant la voie à une direction du Sinn Féin dégagée de tous liens avec la guerre civile. L’avenir dira si cette nouvelle génération fera fructifier l’héritage du duo Adams-McGuinness.