Labour party : Corbyn dévoile ses ambitions et sa feuille de route

« Notre victoire électorale sur les conservateurs pourrait arriver plus tôt que vous ne le croyez ! » Par ces mots, Jeremy Corbyn, leader du parti travailliste, a électrisé la conférence consacrée par le Labour à l’état de l’économie. Une conférence marquée par la présence de quelque 700 participants. Tenue samedi 21 mai, à Londres, elle a conclu une semaine plutôt faste pour la direction travailliste. Outre que les résultats des élections locales ont déjoué les sombres pronostics de ses détracteurs, un nouveau sondage met Corbyn hors de portée de toute tentative de putsch. C’est fort du soutien de 64% des adhérents de son parti qu’il s’est rendu à la conférence annuelle du think tank blairite Progress. Un geste pas si anodin qu’il en a l’air.

La séquence des élections locales a conforté la ligne politique mise en place, depuis septembre 2015, par le nouveau leader élu du Labour party. Alors que les bookmakers, qui restent parmi les observateurs les plus fiables de la politique britannique, tablaient à 5 contre 2 sur des pertes comprises entre 200 et 250 sièges, les travaillistes ont perdu moins de 20 conseillers au final. Ils ont en sus arraché la mairie de Bristol. Ce résultat plus qu’honorable est mis au crédit, par les adhérents, de leur leader depuis huit mois. Ils sont désormais 64% (contre 60% en novembre) à déclarer qu’ils revoteraient pour lui si le leader devait être soumis aux voix dans les prochaines semaines.

Corbyn à la conférence annuelle de ProgressEn outre, les militants travaillistes demandent à leurs membres du Parlement qu’ils arrêtent de déstabiliser la direction élue du parti. Un message que Corbyn a pu reprendre à son compte lors de la réunion du Parliamentary Labour Party (PLP) lundi 10 mai. Lors de cette première réunion post-électorale, il a appelé ses camarades élus à cesser de « commenter la vie du Labour dans les médias » en les invitant plutôt à concentrer leurs attaques sur le gouvernement conservateur. Les résultats électoraux et les sondages récents ont permis à Jeremy Corbyn de hausser le ton face à ses opposants internes. Un geste dont il n’est pourtant guère familier.

Cependant, il a rendu d’une main ce qu’il avait pris de l’autre. Dès le lendemain, il s’est rendu à la conférence annuelle du think tank Progress, qui défend les thèses blairistes et concentre bon nombre des adversaires les plus farouches du membre du Parlement pour Islington-North. Face à un auditoire pas franchement acquis, le leader travailliste a renouvelé son appel à l’unité :

« Je veux voir notre parti plus fort, plus grand, mais par-dessus tout uni dans une détermination farouche pour combattre la politique économique de ce gouvernement (…) Notre parti a des traditions merveilleuses, notre parti recèle des personnalités aux talents incroyables. Si nous travaillons ensemble, nous pouvons faire de grandes choses. Mettre en place un processus démocratique d’élaboration de nos politiques, dont chacun puisse se sentir partie prenante, constitue une étape essentielle dans ce sens. »

Le Labour se rajeunitA l’évidence, Corbyn, issu de l’aile gauche du Labour, n’avait pas l’intention de mettre de l’eau dans son vin. Il reste convaincu que l’élaboration des programmes ne doit plus être le fruit d’un compromis entre le leader et le PLP mais revenir aux militants. Progress, qui bénéficie du soutien plus ou moins actif de nombreux parlementaires, verrait alors son pouvoir d’influence réduit. En venant le rappeler lors de cette conférence annuelle, Corbyn montre bien qu’il n’entend faire aucune concession à ses adversaires. Ni aujourd’hui, ni demain.

Le vétéran socialiste continue de dérouler son programme qui défie celui de la droite travailliste point par point. Alors que cette dernière maintient que la priorité est de donner des gages à l’électorat travailliste traditionnel qui aurait choisi de voter pour les eurosceptiques et xénophobes de UKIP, Corbyn entend aller chercher les 5 millions d’électeurs perdus par le Labour entre 2005 et 2010 et qu’il n’a jamais regagné depuis. A défaut d’être un excellent communicant, Corbyn affirme son autorité en maintenant son orientation politique quoi qu’il arrive.

John McDonnell lors du Labour EconomicsTout en reconnaissant qu’il restait beaucoup de travail à faire, il a néanmoins rappelé que son objectif est de battre les conservateurs lors des prochaines élections générales de 2020… au plus tard. La nouveauté est apparue samedi 21 mai lors de la conférence du Labour sur l’état de l’économie. Elle a permis de commencer à lever le voile sur le nouveau programme économique travailliste, simplement baptisé New Economics et à l’élaboration duquel ont été associé Yanis Varoufakis ou encore Thomas Piketty. L’événement a rassemblé entre 700 et 800 personnes. Il a été marqué par la présence d’un économiste star en Grande-Bretagne : Ha-Joon Chang mais aussi par celle du directeur-général de la chambre de commerce Britannique. Devant cette assistance, le shadow chancelier de l’Echiquier, John McDonnell, par ailleurs bras droit officiel du leader travailliste, a consacré son discours à la nécessité de « réécrire les règles de l’économie » puisque celles en vigueur ont échoué.

« Ces vieilles règles ont amené le dernier gouvernement travailliste à trop dépendre des revenus fiscaux générés par les services financiers mais aussi à une balance des dépenses déséquilibrée qui a profité à l’initiative financière privée. Il n’a pas pris assez de mesures pour enrayer l’évasion et la fraude fiscales. Il a aidé à créer un système fiscal injuste. »

John McDonnell a pu ensuite dévoiler une série de propositions, notamment en matière de logement. Suggérant que les autorités locales puissent aider les primo-acquérant, il a proposé un système de prêts soutenus par les councils complété par la mise en place de loyers plafond, les deux mesures devant se compléter pour limiter l’inflation des prix des logements.

Corbyn Labour EconomicsL’attaque sur la politique menée par les gouvernements Blair puis Brown, de 1997 à 2010, dans la continuité d’un droit d’inventaire sur le New Labour, a surtout permis à Corbyn, qui intervenait après, de prendre de la hauteur. Le leader travailliste a annoncé qu’une fois au pouvoir son parti créerait une banque nationale destinée à investir dans les infrastructures, le logement, les transports et la technologie. L’ensemble doit permettre la « réindustrialisation de la Grande-Bretagne à l’ère numérique ». Il a commencé à développer sa vision d’un secteur public articulé avec les entreprises sociales, ou coopératives, se développant à côté du secteur privé.

Enfin, il a redéfini le parti travailliste comme le parti des créateurs de richesse : les concepteurs, les techniciens, les entrepreneurs, les artisans… Notre économie doit être mise en œuvre pour eux et ils doivent en prendre la direction. C’est ainsi que nous allons pouvoir générer une prospérité pour tous. »

Et Corbyn a donc laissé entendre qu’un gouvernement travailliste pourrait être élu avant même l’échéance de 2020. Il est vrai que la guerre interne au parti conservateur pourrait, en cas de résultat trop serré lors du référendum du 23 juin prochain, déboucher sur une crise politique majeure. Et donc des élections anticipées. Reste que le Labour, quoi que convalescent, est encore bien fragile pour relever un tel pari.

Nathanaël Uhl


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