Brexit : l’Irlande du Nord repousse encore les frontières de la crise

A la fin, elle a encore choisi sa propre survie. La journée du lundi 4 décembre 2017 a illustré l’étau démoniaque dans lequel se trouve coincée Theresa May. Alors que la préparation du sommet européen des 14 et 15 décembre touche à sa fin, la première ministre britannique a commencé sa journée avec un accord sur la question nord-irlandaise ouvrant la voie à la négociation sur un éventuel accord commercial. Ce lundi noir s’est conclu par une sortie de route qui met en panne toutes les discussions sur les conditions de sortie de l’union européenne. Le Democratic Unionist Party a fait dérailler le processus.

Il y a de cela une semaine, trois points noirs bloquaient les pourparlers entre le Royaume-Uni et l’Union européennes : le montant de la facture, le statuts des résidents européens en Grande-Bretagne, la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Le point le plus ardu en apparence – le coût du divorce – a été le plus rapidement réglé. Sans qu’il ne soit possible d’avoir un chiffre précis, un accord a été confirmé par les deux parties autour de 50 milliards de livres.

Leo Varadkar, le premier ministre irlandais, a fait valoir son droit de veto

Tout s’est crispé autour de la question de la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Le premier ministre irlandais a posé le règlement de ce dossier comme un préalable à toute discussion ultérieure sur le Brexit. Son gouvernement campe sur sa position de refus de la frontière pour des raisons de politique intérieure, lui aussi : il est agité par une grave crise qui a débouché sur la démission de la vice-premier ministre et sa majorité est, également, étroite. Or, le Sinn Féin, le parti républicain nationaliste, est en embuscade et attend des élections anticipées avec gourmandise. Mais il y a aussi des raisons économiques : la Grande-Bretagne est son premier partenaire économique.

Vendredi 1er décembre, de passage à Dublin, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a accordé, de fait, un droit de veto à l’Irlande :

« Si l’Irlande a un problème sur la question de la frontière avec l’Ulster,
alors l’Europe a un problème ».

La République d’Irlande a montré qu’elle a désormais plus de poids au sein de l’Union européenne que la Grande-Bretagne.

Aussi, le 4 décembre, le groupe de travail bipartite qui mène les négociations s’est accordé sur un scénario de compromis. Quelle que soit la conclusion des discussions entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, les six comtés de l’Irlande du nord demeureraient dans l’union douanière et le marché commun. Cette position a pour but de ne pas entraver la libre circulation des biens et des personnes et donc de ne pas rétablir une frontière physique entre les deux parties de l’Irlande.

Le Democratic Unionist Party (DUP) a fait rapidement savoir qu’il s’opposait à toute solution qui « établirait une frontière entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne ». Cette posture a gagné en fermeté à mesure que les principaux concurrents du DUP, les radicaux de l’Ulster Unionist Party, donnaient de la voix. Or, la majorité de Theresa May à la Chambre des Communes ne dépend que du bon vouloir des dix membres du parlement unionistes, lesquels sont donc en position de force. Ils l’ont cruellement rappelé à la première ministre le 4 décembre.

Arlene Foster, leader du Democratic Unionist Party

Mais il ne faudrait pas imputer au seul DUP l’échec du compromis sur l’Irlande du Nord. Les conservateurs adeptes d’un Brexit dur, tels que Iain Duncan-Smith ou Jacob Rees-Moog, ont fait savoir vertement qu’ils soutiennent la position de leurs collègues d’Ulster sur un accord qu’ils jugent « rédigé à Dublin ». En outre, nombreux sont ceux qui estiment que maintenir l’Irlande du nord dans le marché commun constituerait le cheval de Troie qui pourrait aboutir au maintien de toute la Grande-Bretagne dans cet ensemble qu’ils détestent au moins autant que l’Union européenne.

L’allocution solennelle que devait prononcer la première ministre ce mardi devant le parlement a été annulée. Alors que l’ultimatum fixé par l’Union européenne a expiré, une nouvelle échéance aurait été fixée à mercredi soir.

« Il reste encore quelques problèmes, des différends demeurent (…) Nous nous réunirons avant la fin de la semaine et je suis sûre que nous réglerons cela positivement », a déclaré Theresa May.

De son côté, Donald Tusk veut aussi croire qu’un « accord est possible lors du sommet » de décembre.


Mais Theresa May a de moins en moins de marge de manoeuvre. Chaque concession qu’elle se dit prête à effectuer ouvre en effet un nouveau front. La perspective que l’Irlande du Nord puisse bénéficier d’un statut particulier, en restant dans l’union douanière et le marché commun a, par exemple, amené le maire de Londres ainsi que les chefs de gouvernement écossais et gallois à demander un statut similaire.

En revenant sur sa parole concernant le compromis nord-irlandais, Theresa May a capitulé en rase campagne face aux durs de son parti autant que face au DUP. Elle confirme ce que chacun sait depuis des mois : elle n’a plus aucune autorité sur son propre camp. Ce n’est pas sans compliquer la tâche des négociateurs mais aussi celle des fonctionnaires.

Ce reniement illustre aussi quelles sont les priorités politiques de la première ministre britannique : elle a fait le choix de rester à Downing Street, quel que soit le prix que son pays paie pour cet entêtement.

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