Brexit : un compromis aux forceps ouvre la voie aux négociations commerciales
C’est ce 8 novembre 2017 aux aurores qu’a été officialisé le compromis passé entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne. Après une semaine commencée dans le chaos, Theresa May, la première ministre britannique, et Jean-Claude Juncker ont annoncé qu’un accord a été trouvé sur la facture du divorce, la question des citoyens européens résidant au Royaume-Uni et la frontière nord-irlandaise. S’il est validé par le sommet européen qui se réunit les 14 et 15 décembre, ce qui devrait être le cas, la phase deux des négociations va pouvoir débuter.
Un accord avait déjà été trouvé qui fixe autour de 50 milliards de livres sterling la somme que devra verser la Grande-Bretagne à l’Union européenne. Cette estimation, dont le montant exact n’est toujours pas officiel, ne vaut pas solde de tout compte. Les plus sceptiques n’hésitent pas à avancer le chiffre de 100 milliards de livres pour la facture globale. La suite des négociations, qui évoquera secteur d’activité par secteur d’activité, permettra de préciser l’ardoise due par les Britanniques à l’Europe.
Sur la citoyenneté et la réciprocité, Theresa May a concédé de nouveaux reculs par rapport à sa position initiale. En échange de la réciprocité (acquise) pour les Britanniques vivant sur le continent, les citoyens européens résidant en Grande-Bretagne avant le Brexit verront leur statut garanti et leur famille, jusqu’aux petits-enfants, pourront s’installer également au Royaume-Uni. Ils pourront continuer à bénéficier des allocations et de l’accès au National Health Service. Ce statut ne sera remis en cause qu’en cas de départ d’une durée supérieure à 5 ans. Les citoyens européens installés sur l’île sont couverts par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour une durée de huit ans.
Elle avait fait achopper les discussions lundi après que le Democratic Unionist Party (DUP) y a mis son véto, mais Theresa May a pu garantir qu’il n’y aura pas de frontière physique entre la république d’Irlande et l’Irlande du nord. De la même manière, les six comtés de l’Ulster continueront à avoir un « accès illimité » au marché britannique, même si le Royaume-Uni devait quitter l’union douanière et le marché unique. Afin d’éviter que la partie septentrionale de l’Irlande ne dispose d’un statut particulier, qui ouvrirait la voie à des demandes similaires de la part de l’Ecosse et du Pays-de-Galles, Theresa May ambitionne toujours un accord global entre le Royaume-Uni et l’Europe.
Le DUP a accueilli ces annonces de manière plutôt détendue, mettant en avant « des changements significatifs » par rapport au premier texte. Les semaines et les mois à venir permettront, peut être, d’en savoir plus sur la nature des compensations qu’ils n’auront pas manqué de demander. D’ores et déjà, le gouvernement régional nord-irlandais s’est vu accorder un droit de veto sur toute évolution possible des « barrières réglementaires » entre l’Ulster et le reste du Royaume-Uni.
La phase deux des négociations devrait, en toute logique, pouvoir commencer. Durant cette période de transition, la Grande-Bretagne devra toujours suivre les règles de l’Union européenne, se soumettre à celles qui seront adoptées jusqu’au 29 mars 2019 et contribuer à son financement. Sans pouvoir participer aux décisions. Une pilule qui aura du mal à glisser dans le gosier des plus durs des brexiters (partisans du Brexit).
Une fois que le sommet des 14 et 15 décembre aura validé le compromis de ce jour, les négociations vont rentrer dans le détail des futures relations, notamment commerciales, entre les deux parties. Agriculture, industrie, services financiers feront l’objet d’âpres débats qui porteront sur les droits de douanes mais aussi les normes techniques. C’est dire si les échanges s’annoncent d’ores et déjà extrêmement compliqués et potentiellement explosifs.
La Grande-Bretagne s’y avance sans préparation. Mercredi 6 décembre, David Davis, secrétaire d’Etat au Brexit, l’a reconnu. Après avoir affirmé – à sept reprises – le contraire, il a finalement concédé qu’aucune étude détaillée sur l’impact du Brexit par secteur d’activité n’a été réalisée. Il faudra donc s’en tenir aux 800 pages généralistes qu’il a fait transmettre à la commission parlementaire chargée de la sortie de l’Union européenne, à l’issue d’une séquence qui a failli le voir traduit devant les autorités parlementaires pour « mépris de la chambre« .
La situation sera d’autant plus compliquée à gérer que, selon le quotidien The Independant, un brouillon circulant au parlement européen évoque un lien de conditionalité entre la soumission de la Grande-Bretagne à la Cour européenne des Droits de l’Homme et tout accord commercial. Autant dire que, pour les brexiters tels que Michael Gove et Boris Johnson, ce serait un camouflet tant ils ont fait de cette institution un épouvantail.
Ces deux hérauts de la campagne du Brexit, tout membres du cabinet qu’ils soient, sont discrets ce 8 décembre. Il faut peut être voir dans une phrase de Donald Tusk, le président du Conseil européen, l’explication de ce silence :
« L’accord de ce jour est, évidemment, le succès personnel de la première ministre Theresa May. »
De là à dire que la leader des tories est passée en force pour obtenir un accord, aussi bancal soit-il, il n’y a qu’un pas. Elle aurait agi sans se préoccuper d’un compromis au sein de son gouvernement. Il sera donc aisé, pour les rebelles tory, de l’accuser d’avoir négocié en solo et donc de la rendre personnellement responsable en cas d’échec des futures négociations. Car, en effet, le plus dur est encore à venir.
Cela dit, Theresa May avait affirmé : « il vaut mieux aucun accord qu’un mauvais accord » sur le Brexit. Force est de constater, au vu des concessions qu’elle a réalisées, qu’elle est revenu sur cette parole.