Brexit : patriotisme ou respect du parlement, le gouvernement tente d’imposer un choix

« Mépris du parlement » contre « manque de patriotisme ». C’est le fond du débat qui agite, depuis le 27 novembre au soir, la Chambre des Communes. Le Secrétaire d’Etat chargé du Brexit, David Davis, est en ligne de mire d’un affrontement de procédures dont le parlement britannique a le secret. Il est accusé d’avoir manqué à l’obligation que la Chambre des communes lui a faite de publier l’ensemble des documents relatifs aux enjeux liés à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Ce mardi 28 novembre, le speaker (président) des Communes a accordé au shadow Brexit Secretary, Sir Keir Starmer, une question urgente sur ce sujet.

La veille, à un jour de la date fixée par une motion votée à l’unanimité, David Davis et le département en charge de la sortie de l’Union européenne ont fait remettre aux membres du Brexit Select Committee (la commission parlementaire en charge du Brexit), ainsi qu’à leur équivalent à la Chambre des Lords, un document de 850 pages passant en revue l’impact de la sortie sur 58 secteurs de l’économie du pays. Ce devait être la fin d’un feuilleton qui a vu cette étude passer de « extrêmement documentée avec des détails atroces » à « inexistantes« .

Il a fallu le vote d’une motion aussi unanime que contraignante pour que David Davis accepte de communiquer la dite étude aux membres de la commission sur le Brexit. Le texte voté par les parlementaires stipulait que les documents devaient être fournis de manière intégrale, ni censurés ni amendés. Las, c’est là que se niche le mépris du parlement, une accusation grave dans le système parlementaire britannique.

D’abord, David Davis reconnaît, de fait, avoir menti à la Chambre, à plusieurs reprises. Ensuite, il assume de transmettre aux membres du parlement une étude d’impact incomplète et qui ne contient aucune donnée sensible d’un point de vue de la politique en matière d’échanges commerciaux, car :

« (il n’a reçu) aucune assurance sur la manière dont les détails transmis à la commission seront utilisés ».

David Davis ne répondra pas, aujourd’hui, à la Chambre des Communes

Les membres conservateurs du parlement favorables au Brexit ont justifié la position de « leur » Secrétaire d’Etat par le fait que l’Union européenne pourrait utiliser, contre la Grande-Bretagne, les éléments rendus publics. Il semble bien, en effet, que les parties les plus embarrassantes pour le gouvernement, d’un point de vue politique, aient été caviardées, afin de ne pas mettre Theresa May en difficulté face à ses interlocuteurs.

« De quel côté êtes-vous donc ?« 

ont-ils demandé à leurs collègues, majoritairement travaillistes, qui demandent la transparence dans ce dossier. A noter qu’une des étoiles montantes du parti conservateur, dont le nom a circulé pour remplacer Theresa May, le pro Brexit Jacob Rees-Moog, fait partie des parlementaires qui souhaitent accéder à l’intégralité des pièces. Certes subtile, c’est clairement une accusation d’anti-patriotisme, sujet très sensible en Grande-Bretagne, qui répond à l’attaque sur le « mépris du parlement ».

La réponse est venue par la bouche de Pat McFadden, membre travailliste du parlement, un des tenors de la commission parlementaire sur le Brexit. « Chacun mesure l’importance de l’intérêt national et l’enjeu qu’il y a à ne pas divulguer des informations qui pourraient le mettre en cause », a déclaré l’ancien porte-parole du Labour sur les questions européennes. Avant de poursuivre :

« Mais c’est la plus grande décision que nous ayons à prendre depuis la guerre. Je crois que le public a le droit de savoir quelles sont les conséquences des différentes options auxquelles nous faisons face. Et si le gouvernement a des informations, je ne pense pas qu’il devrait les retenir. »

La commission parlementaire sur le Brexit a convoqué David Davis, pour qu’il s’explique, dans les jours à venir. S’il va autoriser ses membres à consulter les documents fournis, il ne publiera que la lettre d’accompagnement signée par le Secrétaire d’Etat aux Brexit ainsi que la réponse du président de la commission, le travailliste Hilary Benn. Pour l’instant. Ce dernier a relevé, à l’issue d’une réunion à huis clos :

« Le secrétaire d’Etat au Brexit n’a pas rempli l’obligation que le parlement lui a faite de transmettre l’intégralité des documents relatifs à l’impact de la sortie sur l’économie britannique. »

David Davis n’a pas souhaité répondre à la Question d’urgence accordée au travailliste Keir Starmer. Il s’est fait représenter par Robin Walker, un sous-secrétaire d’Etat qui profitera, certainement, de ce quart d’heure de gloire. Mais pas sûr que la représentation parlementaire, elle, goûte la manière cavalière dont un des plus éminents membres du gouvernement la traite. Cette absence est probablement la raison qui a fait sortir de ses gonds le speaker des Communes, le conservateur John Bercow.

Ce dernier a haussé le ton. Le président de la chambre des Communes a tranché les débats de procédures en qualifiant l’attitude du gouvernement comme « irrespectueuse de la motion initiale », qui précisait que les documents devaient être fournis sans censure. Il a précisé que, en conséquence, la comparution de David Davis devant la commission parlementaire devait avoir lieu « rapidement (…) pas dans quelques semaines (…) je dis rapidement ». Il a tonné devant les nombreux membres du parlement présent :

« Rien, aucun engagement, aucune raison d’agenda, n’est plus important que le respect de cette Chambre et, dans ce cas précis, que du comité de la Chambre qui a la tâche de cette matière (le Brexit) et à laquelle les documents devaient être fournis. »

Les accusations de « mépris » ou, pire encore, celle « d’induire en erreur », le parlement sont parmi les plus graves qu’un membre du gouvernement puisse commettre dans l’exercice de ses fonctions. Les sanctions prévues par le règlement de la chambre des Communes peuvent aller jusqu’à la suspension du mandat. Or, un membre du cabinet est, d’abord, un membre du parlement puisqu’il est issu de la chambre dont il tient son poste de membre du gouvernement.

Il est peu probable que David Davis soit suspendu de son poste mais cette crise de procédure fragilise encore le gouvernement de Theresa May. En même temps, elle témoigne aussi de l’absence totale de leadership de la part de la Première ministre.

Au-delà de l’épisode du jour, qui révèle quand même la philosophie du fonctionnement parlementariste britannique, on voit émerger la question de fond. Qui du parlement, émanation du peuple, ou du gouvernement, doit avoir le mot final sur le Brexit ? David Davis a fait perdre à Theresa May une occasion de faire pencher la balance dans son camp.

 

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