Liz Truss, la réaction au service d’une ambition, aux dépends du pays et du parti
Il est loin le temps où la jeune Liz Truss manifestait contre Margaret Thatcher et se déclarait en 1994 en faveur de l’abolition de la monarchie britannique lors d’une conférence du parti libéral démocrate dont elle était membre.
Propulsée au premier plan par David Cameron
En 1996, elle prend sa carte au parti conservateur. Candidate sans succès aux élections parlementaires de 2001 et 2005. La roue tourne en 2006, la voilà élue conseillère municipale à Greenwich au sud-ouest de Londres.
En 2010, elle parvient difficilement à être élue parlementaire, dans une circonscription pourtant réputée favorable.
Liz Truss se fait remarquer en 2012 en cosignant un livre avec une brochette de jeunes conservateurs réactionnaires, Dominic Raab, Priti Patel, Kwasi Kwarteng et Chris Skidmore. Le livre est rempli de clichés, « le royaume uni récompense la paresse et n’encourage pas la prise de risque », les travailleurs britanniques « les pires fainéants de la planète ». Elle a depuis affirmé qu’elle n’en était pas l’auteur en dépit du fait qu’elle avait cosigné l’ouvrage, s’attirant les sarcasmes de Dominic Raab.
Une décennie au gouvernement
La même année, elle décroche un poste de secrétaire d’état à l’éducation. En 2014, elle passe au ministère de l’environnement, où, en dépit de ses déclarations sur la réalité des changements climatiques, ses actes ne suivent pas. Durant le référendum de 2016, Liz Truss prend position pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne. Puis change d’avis l’année suivante.
Theresa May, première ministre, la désigne secrétaire d’État à la Justice et Lord Chancelier. Boris Johnson la conserve au gouvernement en juillet 2019, et elle devient secrétaire d’état chargée du commerce international. À peine deux mois après sa nomination, elle présentait des excuses pour avoir approuvé des ventes d’armes à l’Arabie Saoudite, rompant un engagement de ne pas vendre de matériel militaire pouvant servir dans le conflit au Yémen. En 2021, elle est promue ministre des affaires étrangères et en décembre, se voit ajouter la fonction de négociatrice avec l’Union Européenne.
Nommée le 6 septembre Première Ministre par la reine à Balmoral en Ecosse (ce qui n’était pas arrivé depuis 1885), Liz Truss n’a pas tardé à former un nouveau gouvernement.
Purge et règlements de compte
Les partisans de Rishi Shunak ont tous été priés de dégager (à une exception près, le procureur général Michael Ellis qui fait figure de rescapé). Liz Truss donc fait le choix d’un gouvernement restreint à ses alliés les plus proches, ce qui ne devrait pas résoudre les profondes divisions du parti conservateur. L’appel de Boris Johnson à soutenir Liz Truss risque bien de ne pas être entendu…
Les victimes principales de la purge : l’ex-chancelier Rishi Shunak qui avait balayé l’hypothèse de travailler dans un gouvernement Truss. Dominic Raab, ex-premier ministre adjoint et ministre de la justice. Il avait publiquement qualifié les plans de Liz Truss de « suicide électoral ». Grant Shapps, ex-ministre des transports, espérait jusqu’à la dernière minute conserver son poste malgré son soutien à Sunak. La porte de sortie après 8 semaines au gouvernement pour Greg Clark (ex-ministre du « nivellement par le haut »). Johnny Mercer, ministre des vétérans, viré et mécontent de son sort, a émis des critiques contre la nouvelle première ministre qui « récompense ses amis ». Andrew Stephenson, responsable du parti conservateur, resté neutre, démissionne. Steve Barclay, ex ministre de la santé, et Shailesh Vara ex-ministre chargée de l’Irlande du Nord ont souhaité au gouvernement de réussir et se sont gardé de toute rancœur en public.
La presse britannique souligne le fait que pour la première fois il n’y a pas de males blancs aux postes clés. Pour autant cette diversité affichée masque mal la faiblesse du nombre de femmes (35 % alors qu’elles représentent 51 % de la population). Selon le Guardian, 65 % des membres du gouvernements ont passé leur scolarité dans le privé (7 % des britanniques sont dans ce cas de figure).
Tel un vieux cliché, le gouvernement est représentatif du parti conservateur : l’écrasante majorité du cabinet est élue dans le sud du pays. Seulement 4 des ministres sont élus dans le Nord de l’Angleterre, un en Ecosse. Pas un seul ne vient de Londres, du Pays de Galles ou du Yorkshire, ou des 42 sièges du « mur rouge » travailliste que Boris Johnson avait fait tomber.
Lizz Truss a fait appel à Kwasi Kwarteng, ultra libéral co auteur du livre qui qualifiait les britanniques de « pires fainéants de la planète « . Suella Braverman succède à Priti Patel au ministère de l’intérieur, et compte tenu du fait qu’elle souhaite que le Royaume Uni quitte la convention européenne des droits de l’homme, on ne doit pas s’attendre au moindre relâchement de la politique sécuritaire. Therese Coffey est désormais ministre de la santé et première ministre adjointe. Elle s’est opposée publiquement à l’avortement et au mariage entre personnes de même sexe.
James Cleverly, loyal à Boris Johnson en dépit du bon sens, est récompensé avec le poste de ministre des affaires étrangères. Au ministère de la défense, Ben Wallace est l’un des rares à conserver son poste. Penny Mordaunt qui a échoué de peu à la candidature au poste de Première Ministre est récompensée pour son soutien, et nommée ministre chargée des relations avec la Chambre des communes au sein du gouvernement. Nadhim Zahawi, éphémère ministre des finances, devient chancelier du duché de Lancastre et ministre des égalités.
Jacob Rees Mogg hérite du ministère de l’économie. Il ne sera pas chargé des questions climatiques, il a fait face à une levée de boucliers de parlementaires. C’est Graham Stuart qui sera chargé de la question climatique (il est partisan du retour de la chasse au renard, sujet sur lequel il devrait s’entendre avec Rees Mogg).
Les syndicats en ligne de mire
Liz Truss veut rapidement durcir les règles qui régissent le droit de grève dans les services publics, en particulier dans les secteurs du transport et de l’énergie via un projet de loi. C’est une déclaration de guerre pour les syndicats, qui l’accusent de vouloir revenir au XIXe siècle. « La priorité de Liz Truss devrait être d’aider les familles à payer leurs factures d’énergie cet hiver », a déclaré la secrétaire générale du Trade Union Congress Frances O’Grady. On notera au passage le choix de la direction du Labour party de ne pas soutenir les grévistes (certains interdisant de se rendre sur les piquets de grève), les proches de Keir Starmer craignent que soutenir les syndicats abime la crédibilité gouvernementale du parti.
Il est certain que le gouvernement de Liz Truss n’aura pas de répit, inflation, crise économique, énergie, climat, Irlande, Ecosse, sans oublier la crise qui couve au sein du parti… les dossiers ne manquent pas. Si dans l’immédiat elle n’apporte pas une réponse rapide et crédible à la question des tarifs réglementés d’électricité, les conservateurs n’auront pas à attendre décembre 2024 pour en subir les conséquences.