Suspension du parlement, le coup de Boris Johnson

COMME ON POUVAIT S’Y ATTENDRE, BORIS JOHNSON A SUSPENDU LE PARLEMENT. Le nouveau Premier ministre britannique a fait signer, mercredi 28 août, la suspension des deux Chambres du parlement du Royaume-Uni par la Reine. La suspension débutera la semaine du 9 septembre, pour une durée de 5 semaines, record historique.

Ce faisant, Boris Johnson tente, tout en affirmant le contraire, d’optimiser ses chances de faire passer une sortie de l’Union européenne sans accord. Il ne dispose, en effet, que d’une majorité d’un siège à la Chambre des Communes. Et plusieurs membres conservateurs du parlement ont fait savoir qu’ils s’opposeraient à une sortie brutale de l’encore Europe des 28.

Cette décision pose plusieurs questions auxquelles nous allons tenter de répondre. La décision du locataire du 10 Downing Street est-elle légale ? La Reine pouvait-elle s’y opposer ? Quelles réactions du public ? Que peut faire l’opposition ? Et après ?

 

La décision du Premier ministre est-elle légale ?

La constitution britannique permet la suspension du parlement. Même si Boris Johnson ne l’avait pas décidée, elle aurait été effective, pour une durée de trois semaines, dès le 9 septembre. En effet, les vingt derniers jours de septembre sont toujours consacrés aux conférences des principaux partis : Lib-Dems, Labour et Tories. Pour permettre la bonne tenue de ces congrès, le parlement suspend ordinairement ses travaux. Il est aussi de coutume, quand un nouveau gouvernement s’installe, que le travail parlementaire soit mis en repos pour permettre au cabinet entrant de préparer son programme. C’est d’ailleurs le principal argument de Boris Johnson pour justifier sa décision : « Cela nous donnera le temps de présenter à l’approbation des membres du parlement un nouvel et ambitieux programme législatif« .

Le premier ministre réfute tout blocage de l’expression parlementaire sur le Brexit en affirmant que les Chambres auront « amplement le temps de débattre » autour du sommet européen programmé le 17 octobre prochain.

Les membres du parlement ne peuvent pas voter contre la suspension de leurs travaux.

 

La Reine pouvait-elle empêcher la suspension du Parlement ?

Techniquement, la « prérogative royale » permettait à la souveraine, Elizabeth II, de faire obstacle à la décision de Boris Johnson. Mais, ce faisant, elle aurait brisé les conventions non-écrites qui régissent la vie politique britannique selon lesquelles la Reine ne doit pas se mêler de la vie politique du pays. Elizabeth II a donc refusé d’ajouter de la division dans un pays extrêmement fracturé entre Brexiters et Remainers, entre Nord et Sud, entre l’Angleterre, le Pays-de-Galles, l’Ecosse et l’Irlande du Nord. Même si elle ne s’est jamais officiellement prononcé sur le sujet, les observateurs s’accordent à qualifier la souveraine d’europhile et opposée au Brexit. Une fois encore, elle a fait donc passer sa vision de l’intérêt du pays devant ses considérations personnelles.

 

Quelles réactions du public ?

Si la presse conservatrice – The Sun, The Daily Telegraph et même The Times – salue la décision de Boris Johnson, les partisans du maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne n’ont pas tardé. Une pétition a été initiée sur le site officiel de la Chambre des Communes pour refuser la suspension du Parlement. Le jour de sa création, le 28 août, elle recueillait en moyenne 80,000 signatures par heure. Ce jeudi matin, elle a déjà cumulé 1.3 million de paraphes, rendant obligatoire un débat sur le sujet à la Chambre des Communes. L’activiste remainer Gina Miller a mandaté ses avocats pour déférer la décision du Premier ministre devant la Haute Cour de Justice, la plus haute autorité judiciaire du pays.

Hier soir, des premiers rassemblements spontanés ont eu lieu un peu partout dans le pays. Des centaines de partisans du maintien au sein de l’Union européenne se sont ainsi rassemblées devant Westminster mais aussi devant le parlement écossais. De nouvelles manifestations devraient se dérouler ce week-end. Le leader de la Chambre des Communes (ministre chargé des relations avec le Parlement), le hard-brexiter Jacob Rees-Mogg a moqué les manifestants et la pétition « barbe à papa« . Il devra pourtant, en tant que membre du parti conservateur, gérer la démission de Ruth Davidson, la populaire leader des Tories écossais, connue pour son engagement en faveur du maintien dans l’UE.

De l’autre côté de l’échiquier politique, les réactions ne sont pas en reste. Un premier sondage réalisé par l’institut YouGov pour le quotidien The Times place ainsi les Conservateurs en tête avec 34% des intentions de vote, 12 points devant le Labour. C’est le plus haut niveau atteint par les Tories depuis mars 2019, date initiale prévue pour la sortie effective de l’Union européenne. A noter aussi que le jeune Brexit Party de Nigel Farage s’effondre à 13% des intentions de vote. La stratégie de Boris Johnson semble ainsi validée : agglomérer l’électorat brexiter autour de son propos.

 

Quelles réactions de l’opposition ?

Conservateur mais partisan, officieux, du maintien au sein de l’Union européenne, le speaker de la Chambre des Communes, John Bercow, est monté au créneau contre la suspension des travaux du parlement. Il a évoqué un « outrage constitutionnel » pour condamner la décision de Boris Johnson.

Les partisans du maintien au sein de l’Union européenne travaillaient depuis plusieurs jours à se rassembler au sein de la Chambre des Communes. Leader du parti travailliste, Jeremy Corbyn avait proposé une union autour d’une motion de défiance avec la perspective de succéder, comme premier ministre intérimaire, à Boris Johnson. Il se fixait comme objectif de renégocier avec l’Union européenne et de soumettre l’accord au vote des Britanniques en intégrant une option « maintien » dans la consultation. Mais la personnalité clivante de Corbyn n’a pas permis d’aboutir à un consensus.

Les parlementaires ont pourtant convenu de présenter, dès la semaine prochaine, un texte pour contraindre Boris Johnson à une extension de l’article 50, en cas d’échec d’une dernière négociation avec l’Europe lors du prochain sommet européen.

L’Union européenne, de son côté, a qualifié la suspension des travaux du parlement de « problème intérieur qu’il appartient aux Britanniques de résoudre« . Ses principaux porte-paroles actuels, qui sont en poste jusqu’à la fin septembre, restent sur une ligne dure. Ils rappellent que le seul accord possible est celui négocié avec Theresa May et intégrera, forcément, le filet de sécurité. Ce « backstop » est destiné à prévenir le rétablissement d’une frontière physique entre les six comtés de l’Ulster membres du Royaume-Uni et la République d’Irlande.

Dans ce cadre, les propos de la ministre française des Affaires européennes apparaissent pour le moins déconnectés de la réalité. Dans un entretien accordée au site Internet du Point, elle a déclaré : « En tout état de cause, nous n’aiderons pas Boris Johnson à devenir « Mr No Deal » auprès de ses électeurs en pointant du doigt l’Union européenne. » Or, le travail politique de Boris Johnson consiste à faire porter la responsabilité du no-deal à l’Union européenne, accusée d’intransigeance.

 

Et après ?

D’abord, le calendrier.

  • A partir du 3 septembre, l’opposition tentera de faire adopter une extension de l’article 50 en cas d’échec des négociations avec l’Europe ;
  • 22-25 septembre : conférence du Labour ;
  • 29 septembre-2 octobre : conférence du parti conservateur ;
  • 14 octobre : reprise des travaux du parlement avec le Queen’s speech, le discours de politique générale de Boris Johnson ;
  • 17 octobre : sommet européen, dernière possibilité d’un accord avec l’Union européenne ;
  • 21-22 octobre : votes sur le Queen’s speech ;
  • 22-31 octobre : votes sur un éventuel accord obtenu par Boris Johnson ;
  • 31 octobre : sortie de l’Union européenne, avec ou sans accord.

Pour Boris Johnson, la seule préoccupation consiste à gagner les élections générales. Il hystérise donc la question du Brexit sur lequel il compte bien capitaliser. Pour lui, la sortie sans accord constituerait la meilleure option. Face à une opinion publique lassée par la dramaturgie du Brexit, il se présente comme le défenseur du « pays réel » face au « pays légal », du peuple contre les élites, rejouant le scénario qui a permis la victoire de la sortie au référendum de juin 2016. On pourra toujours s’étonner qu’un cartel de personnalités issues de l’élite etonienne se pose en défenseur de la classe ouvrière…

S’il ne dispose pas d’une majorité à la Chambre, il sait que les partisans du maintien sont incapables de s’unir et de gagner les élections ensemble. S’il gagne « sa » sortie, il pourrait alors convoquer de nouvelles élections générales. L’état actuel de l’opinion britannique lui permet d’espérer les emporter haut la main.

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