Elizabeth II, souveraine sans vrais pouvoirs, est rentrée dans l’histoire

Ce 9 septembre, quand 17h30 (heure de Londres) aura sonné, Elizabeth II sera la souveraine du Royaume-Uni au règne le plus long dans l’histoire, passant devant Victoria. A 89 ans, et 63 ans 216 jours à porter la couronne, elle incarne la stabilité institutionnelle auxquels ses « sujets », selon la dénomination consacrée, aspirent autant qu’une forme de vertu, dans une famille Windsor qui n’en a pas toujours fait sa marque. Elizabeth symbolise toute la complexité du rapport des Britons avec leur monarchie.

Une monarchie parlementaire, en premier lieu, qui définit le souverain « en son parlement » depuis la fin de la guerre des deux Roses (XVe siècle). L’histoire institutionnelle et politique de la Grande-Bretagne est, d’abord, depuis 1215 et le premier compromis qu’inaugure la Magna Carta, une confrontation permanente entre le pouvoir royal et les chambres du parlement, le plus souvent au profit de ce dernier. L’opposition entre monarque et parlement va connaître son apogée pendant la guerre civile, the English civil war, quand les troupes parlementaires dirigées par Cromwell défont l’armée royale dirigée par Charles Ier. La guerre aboutit à l’exécution du roi, au renversement de la monarchie et à la création d’une république connue sous le nom de Commonwealth de l’Angleterre.

bill_of_rights_0La mort du Lord Protecteur Oliver Cromwell, en 1658, puis l’abdication de son successeur de fils Richard pose la question de l’organisation du pouvoir. Finalement, les parlementaires optent pour le retour à la monarchie. Le règne de Charles II, qui commence, sera marqué par l’émergence des partis politiques Tory et Whig, ancêtres respectifs des conservateurs et libéraux actuels. Le règne de son fils Jacques II est écourtée par la « glorieuse révolution » de 1688-1689. Le renversement de Jacques constitue l’un des évènements les plus importants de la longue évolution du pouvoir parlementaire. En effet, la Déclaration des droits (ou Bill of Rights) de 1689 affirma la suprématie du Parlement et confère certains droits aux citoyens anglais. La Déclaration fait aussi obligation aux futurs monarques d’être protestants pour pouvoir accéder au trône.

Partage des pouvoirs

La dynastie d’Orange laisse la place à la dynastie de Hanovre (aujourd’hui dynastie Windsor) en 1714. Le nouveau monarque se montre moins actif que ses prédécesseurs dans le gouvernement du pays, d’autant qu’il conserve le contrôle des affaires de son royaume allemand. Du coup, la majorité du pouvoir du roi George est transférée entre les mains de ses ministres, et en particulier de Sir Robert Walpole, qui est souvent considéré comme le premier Premier Ministre (non officiel) de Grande-Bretagne. Les années qui suivent voient une lente évolution du partage des pouvoirs entre le roi et son parlement. De 1811 à 1820, George III souffrant d’un grave épisode de porphyrie, une maladie qui le rend incapable de gouverner, son fils, le futur George IV, exerce la régence. Le pouvoir royal connaît alors une nouvelle dégradation, jusqu’à ce que, sous le règne de Guillaume IV, le monarque ne soit plus en mesure d’interférer avec le pouvoir parlementaire.

Couronnement d'Elizabeth IIAinsi, en 1834, Guillaume révoque le premier ministre whig William Lamb et nomme le tory Robert Peel pour le remplacer dans ses fonctions. Toutefois, lors des élections suivantes, les Whigs obtiennent une large majorité à la Chambre des communes. Ils poussent Peel à démissionner en bloquant la majeure partie de sa législation, ne laissant pas d’autre choix au roi que de rappeler Lamb. Depuis 1834, plus aucun monarque n’a nommé ou révoqué un Premier ministre en contradiction avec la volonté de la Chambre des communes. A quelques modifications près, l’équilibre actuel des pouvoirs est établi.

Symbole de l’unité nationale

Le pouvoir législatif est partagé entre la chambre des Communes, House of Commons, la chambre basse, et la House of Lords, la chambre des Lors, la chambre haute du parlement. Le pouvoir exécutif est dévolu au premier ministre et à son cabinet. Le souverain n’a plus aucun pouvoir que de distribuer des honneurs, notamment les pairies, et encore, sur proposition du premier ministre. Le discours de la Reine, prononcé en juin dernier par Elizabeth II, est un discours de politique générale totalement rédigé par le premier ministre et son staff. Et si le souverain reste officiellement chef des armées, il ne peut envoyer les troupes hors du pays sans l’aval du gouvernement et du parlement.

La reine Elizabeth II et son mari le prince PhilippAlors qu’Elizabeth II se rapproche tranquillement de la fin de sa 64e année de règne, elle jouit d’une confortable popularité personnelle. Et les sondages récents concordent : une très large majorité des Britanniques souhaitent le maintien de la monarchie, quitte à la réformer. En 2013, selon un sondage, plus de 66 % de la population estime que la Grande-Bretagne se porte mieux sous le régime de la monarchie, seuls 17 % souhaitant une République. Les raisons de l’attachement des Britanniques à leur reine et à leur monarchie sont complexes. En premier lieu, en des temps troublés, la royauté demeure un pivot, une sorte d’ancre, face à la tourmente. Ensuite, la monarchie reste le symbole de l’unité nationale. Quant à Elizabeth II, elle est unanimement saluée pour les sacrifices consentis à l’exercice de sa tâche. Les images de la future souveraine pendant le Blitz contribuent à son aura personnelle.

Par ailleurs, le mouvement républicain actif a du mal à sortir d’une image très liée à la gauche intellectuelle londonienne. Ce qui explique aussi son manque de présence dans l’espace public, en termes militants. Mais il y a une mouvance républicaine émergeante, notamment parmi les musulmans et une partie de la communauté antillaise, qui ne se reconnaissent pas dans cette institution, blanche, aristocratique et protestante. Il faut relever que l’organisation sociale britannique en communautés est d’abord et avant tout religieuse, dans son histoire et dans le vécu que les gens en ont. Le qualificatif musulman procède donc de cette réalité qui définit d’abord l’individu par sa pratique religieuse, ensuite par son appartenance à telle classe sociale et ensuite seulement au territoire. C’est cela aussi la Grande-Bretagne.

Nathanaël Uhl

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