Parti travailliste : les rebelles déposent les armes après la publication du rapport Chilcot
« C’est fini. » Rapportée par le quotidien conservateur The Daily Telegraph, cette affirmation proviendrait d’un membre travailliste du parlement fermement opposé au leader du Labour party, Jeremy Corbyn. Elle clôt la crise interne la plus sérieuse qu’ai connue le parti depuis l’élection, en septembre 2015, du vétéran socialiste. Si les « rebelles » du parliamentary Labour party (PLP) prennent acte de leur échec dans la tentative de déposer le dirigeant travailliste, les détails de l’armistice sont encore à régler. Len McCluskey, le chef du syndicat Unite, va s’employer à trouver une issue honorable pour toutes les parties.
Depuis le 24 juin, le parti travailliste a vécu au fil des rumeurs et des coups de mentons. Les faits demeurent que le PLP a voté une motion de défiance contre Jeremy Corbyn par 172 voix contre 40. Le leader du Labour a remanié son shadow cabinet après une succession bien orchestrée de démissions. Dans les dix jours qui ont suivi la proclamation des résultats du référendum, les adhésions au Labour ont grimpé en flèche faisant passer le vieux parti à plus de 600,000 membres. Selon des sources proches des rebelles, ce seraient 128,000 nouveaux adhérents que compterait le Labour. Sans que les officiels du parti ne confirment encore.
Depuis le début de la crise, les syndicats, principaux bailleurs de fonds du Labour, ont confirmé leur soutien au dirigeant élu, mettant en avant un mandat validé par 59.5% des adhérents et sympathisants travaillistes. Ils ont affirmé que Corbyn ne pouvait être démis que par un vote du parti, dans son ensemble. Leur mot d’ordre a été « put up or shut up » (soit « montez une confrontation ou fermez-la »). Ce faisant, ils ont forcé l’aile droite du parti à se diriger vers un nouveau leadership.
Majoritaire au sein du PLP, elle n’est finalement pas parvenue à présenter un front uni et donc un seul candidat pour défier Corbyn. Alors qu’Angela Eagle, qui se rêvait en candidate de rassemblement, affirmait encore le 5 juillet qu’elle allait présenter sa candidature pour « résoudre la crise », elle a rencontré sur sa route Owen Smith, ancien shadow secrétaire au travail et aux pensions, et, surtout, Tom Watson, deputy leader du Labour. Aucun des deux n’a souhaité soutenir Eagle. La dynamique initiée par le vote de la motion de défiance par le PLP s’est donc enlisée dans les conflits d’ego dont les parlementaires travaillistes ont le secret.
Les jours ont passé, permettant à Corbyn de mesurer sa popularité au sein de la base travailliste. Le week-end des 2 et 3 juillet a vu une floraison de manifestations en sa faveur dans toute la Grande-Bretagne. Des informations ont aussi commencé à émerger, tendant à montrer que, loin du récit élaboré par le PLP, la déstabilisation du membre du parlement pour Islington-North n’a pas été générée par le limogeage express de Hilary Benn, alors shadow secrétaire aux Affaires étrangères. En effet, le site de campagne d’Angela Eagle a été activé plusieurs heures avant que Corbyn ne mette fin aux fonctions de son opposant principal, lequel préparait quasiment en public une tentative de putsch contre son chef de parti.
Les invites faites à Corbyn de démissionner n’ont eu aucun effet. Arc-bouté sur les plus de 250,000 votes qu’il a obtenus en septembre 2015, le leader a maintenu sa ligne : « Présentez un candidat et allons à l’élection ». Assurément, chacun a fait ses comptes et a mesuré qu’une bonne partie des dizaines de milliers de personnes qui ont rejoint récemment le Labour l’a fait pour soutenir Corbyn. Ces derniers jours, Tom Watson s’est multiplié en rencontres pour convaincre Corbyn et les syndicats qu’un leader ne pouvait pas tenir avec le seul soutien de ses adhérents.
La réponse de la gauche du Labour a été aussi précise : elle a remis sur la table la menace de la deselection des membres du parlement élus. Un retrait d’investiture qui, potentiellement, peut mettre fin à une carrière. En parallèle, le bras droit de Corbyn, John McDonnell a multiplié les gestes d’apaisement envers les barons travaillistes. Puis le leader a publié une tribune dans le tabloid de centre-gauche The Mirror, pour tendre la main à ses opposants tout en réaffirmant qu’il ne démissionnera jamais.
En ce début de semaine, les contacts téléphoniques se sont essentiellement concentrés vers les dirigeants de syndicats. Les trade unions, qui ont fondé le parti travailliste, soutiennent toujours Corbyn. Mais ils sont très attachés à l’unité du parti travailliste, condition sine qua non d’une possible victoire aux élections générales. Or, comme nous l’avions annoncé, la perspective d’une élection anticipée s’éloigne considérablement alors que les principaux candidats au leadership du parti conservateur l’ont écartée.
Or, c’est bien la rumeur d’une élection générale, annoncée pour le 13 octobre prochain, qui a mis le feu aux poudres pour l’aile droite travailliste. Il lui était impensable de permettre l’arrivée de Corbyn à Downing Street. D’ailleurs, le compromis en cours d’élaboration entre le PLP et le shadow cabinet remanié en faveur des proches de Corbyn reposerait sur une démission du leader avant 2020, date à laquelle les élections générales sont prévues. Il serait alors remplacé par une figure plus consensuelle. C’est en tout cas ce que rapporte le quotidien de centre-gauche The Guardian.
La publication du rapport Chilcot, bien plus accablant pour Tony Blair que ce que les fuites annonçaient, a été probablement le dernier élément qui a désarmé la fronde des parlementaires travaillistes. Les termes de la commission d’enquête ne ménagent pas l’ancien premier ministre, éclaboussant par ailleurs tous les parlementaires qui ont voté la guerre en 2003. Ces derniers sont encore bien nombreux au sein du PLP… Et les Britanniques n’ont pas la mémoire courte. Les familles des soldats morts au combat ont d’ailleurs accueilli Corbyn, un des rares à avoir voté contre l’intervention en Irak, par une standing ovation mercredi 6 juillet.
En fin de matinée, ce 7 juillet, Owen Smith, l’un des candidats les plus sérieux à un éventuel leadership, notamment par son positionnement à gauche, a déposé les armes, après avoir rencontré les dirigeants syndicaux et le leader du Labour. Il a souhaité que les pourparlers qui ont débuté puissent bénéficier du temps nécessaire et a appelé ses camarades parlementaires à observer la même attitude. Angela Eagle a également concédé du temps tout en continuant à réclamer le départ de Corbyn. Elle a fait savoir qu’elle présentera sa candidature au « moment opportun », comme elle le fait depuis… le 27 juin. Globalement, les discussions vont continuer jusqu’à la fin du week-end. Au plus tôt.
En effet, il faut à présent trouver une issue honorable pour les rebelles autant que pour les loyalistes. Des négociations ont commencé qui doivent aussi permettre à Corbyn de présenter un shadow cabinet complet, ce qui n’est pas le cas en ce moment. Len McCluskey s’y emploie avec délectation. Alors qu’il avait du mal à faire entendre sa voix sous le leadership d’Ed Miliband, rien ne semble pouvoir se faire aujourd’hui sans lui.
Si les « rebelles » semblent revenir à la raison, « pour préserver l’unité du Labour », ils sortent affaiblis d’une crise qu’ils ont déclenchée sans parvenir à aller jusqu’au bout. Corbyn, quoique toujours leader et sans challenger à l’heure où ces lignes sont écrites, n’est pas plus en position de force. Le principal point faible du membre du parlement pour Islington-North apparaît être, aujourd’hui, son équipe rapprochée. A l’exception notable de John McDonnell – qui donne l’impression d’être plus calme à mesure que les tensions s’exacerbent – les collaborateurs de Corbyn ont multiplié les faux pas, les déclarations malvenues et les provocations.
Dans ce contexte, le seul vainqueur d’une séquence ubuesque a pour nom Len McCluskey. Renforcé par l’élection de Corbyn, le leader de Unite, qui a su se placer au coeur de la résolution du conflit, est devenu « faiseur de roi » et le véritable homme fort du parti travailliste.
Nathanaël Uhl