Europe : Corbyn se décide à rentrer en campagne

Le Labour devrait se montrer moins laborieux sur l’Europe. Ce jeudi 14 avril, le leader travailliste Jeremy Corbyn a choisi, de manière symbolique, le siège du Trade Unions Congress, pour lancer, enfin, la campagne travailliste en faveur du maintien au sein de l’Union européenne. La veille, son bras droit, John McDonnell, shadow Chancelier de l’Echiquier, avait reconnu que le Labour n’était pas réellement au niveau sur ce sujet. Il faut reconnaître aux travaillistes qu’ils sont sollicités sur tous les fronts. Les élections locales, premier grand test pour la nouvelle direction du Labour, mobilisent une grande part de leur attention.

Si les jeux apparaissent déjà faits en Ecosse, avec une nouvelle défaite annoncée ; au Pays-de-Galles avec une reconduction a priori du Labour et, sauf catastrophe nucléaire, à Londres où Sadiq Khan devrait l’emporter face à Zac Goldsmith, les situations locales sont plus compliquées en Angleterre. Dans ses bastions, le Labour est contraint de mettre en oeuvre les politiques d’austérité qu’il combat au niveau national. Une contradiction qui pourrait bien avoir des conséquences électorales.

Corbyn a choisi le siège du Trade Union congress pour son discours sur lEurope

Corbyn a choisi le siège du Trade Union congress pour son discours sur l’Europe

C’est pourquoi, au niveau national, Jeremy Corbyn s’acharne à mettre en lumière les responsabilités du gouvernement de Londres dans la situation faites aux Conseils, lesquels ont vu leurs budgets fondre comme neige au soleil. Face à un Cameron empêtré dans le scandale des Panama Papers, il a marqué quelques points lors de la dernière séance de Questions au premier ministre. Corbyn a même réussi à retourner contre lui une attaque de assez fielleuse de Cameron. Le leader des tories a en effet tenté de moquer son adversaire, lequel a rendu sa déclaration d’impôts 2015 en retard. Corbyn a en effet payé une amende de 100 livres pour cette raison et, qui plus est, a déclaré plus que ce qu’il n’aurait dû.

La réponse de Corbyn a littéralement séché le premier ministre dans une allusion à Osborne and Little, société dont George Osborne, le chancelier de l’Echiquier, est actionnaire :

« Je remercie le premier ministre d’attirer l’attention sur ma déclaration […] Il s’avère en effet que je paie, personnellement, plus d’impôts que des sociétés dirigées par des gens qu’il doit bien connaître. »

La compagnie Osborne and Little, dirigée par le père du numéro deux de Cameron, ne paie plus d’impôts depuis 2008. Et le chancelier de l’Echiquier a dû déclarer plus de 44,000 livres de revenus en raison des dividendes que cette société lui a versés…

Les sondages donnent une légère avance au camp du Brexit

Les sondages donnent une légère avance au camp du Brexit

Avec, en toile de fond, la crise de l’acier, John Mc Donnell a lui même concédé que le Labour ne s’est pas vraiment impliqué dans le débat sur le référendum du 23 juin relatif au maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union Européenne. D’autant que le parti s’est rallié tardivement à l’idée d’une consultation populaire. Les sondages se suivent et se ressemblent, annonçant un scrutin très serré avec, souvent, une légère avance au camp sortiste. Du point de vue de Mc Donnell, considéré comme l’idéologue et l’organisateur principal de la gauche travailliste, seule l’implication forte du Labour pourrait sauver le Royaume-Uni du « désastre » que représenterait la sortie de l’Union Européenne.

C’est ce message qu’a martelé, ce jeudi 14 avril, Jeremy Corbyn. Ce discours était d’autant plus attendu que le membre du parlement pour Islington-North n’est pas réputé pour être un grand thuriféraire de l’Union européenne. Lors du précédent référendum, en 1975, il avait voté contre l’entrée dans l’Union. Il s’est opposé aux traités de Maastricht puis de Lisbonne. Une position qui aurait pu l’amener à basculer dans le camp du Brexit où d’aucuns l’attendaient.

« Il y a de solides arguments socialistes pour rester au sein de l’Union européenne », a relevé le leader travailliste, élu sur une ligne de gauche et de rupture avec l’austérité.

Alan Johnson, responsable de la campagne Labour In, et Corbyn, le 14 avril

Alan Johnson, responsable de la campagne Labour In, et Corbyn, le 14 avril

Prenant l’exemple de la crise de l’acier, marquée par le refus des conservateurs de voter un relèvement des tarifs douaniers face à l’acier chinois, il a évoqué une « situation globale » qui devrait donner lieu à une réponse internationale et coordonnée. Il a décliné cette approche pour la crise climatique mais aussi sur la crise des réfugiés, domaines dans lesquels l’Union européenne fait preuve d’une frilosité certaine. S’adressant aux électeurs de gauche qui pourraient éprouver une désillusion face à Bruxelles, il a encore tranché : « C’est parfois plus facile de s’en prendre à l’Europe, ou pire encore d’accuser les étrangers, que de prendre nos problèmes à bras le corps. En tête de ces problèmes, aujourd’hui, il y a aujourd’hui un gouvernement conservateur qui trompe les Britanniques ».

Clairement, Jeremy Corbyn et le Labour entendent présenter l’Union européenne comme un bouclier face aux attaques des conservateurs sur les droits sociaux. Ainsi, si la législation restreignant le droit de grève finissait par être adoptée, nul doute que les Trade Unions et les travaillistes la déféreraient immédiatement devant la cour européenne des droits de l’Homme pour la faire casser, profitant de l’existence, encore, d’une hiérarchie des normes.

Corbyn à Port TalbotAlors que les journalistes le pressaient pour savoir s’il retirait les critiques qu’il a accumulées face à l’Union européenne, Jeremy Corbyn a répondu posément : « La question est de savoir si nous restons et que nous nous battons pour l’Europe socialement juste que je souhaite, que notre parti souhaite, que la grande majorité des syndicats et des gens ordinaires veulent. Ou est-ce que nous nous éloignons. Aujourd’hui, nous apportons notre réponse. » Corbyn a donc fait le choix de s’engager clairement en faveur du maintien dans l’Union européenne et de se battre, de l’intérieur, pour la changer.

A l’évidence, outre une participation nouvelle aux débats au sein du Parti des socialistes européens et, plus encore, du groupe socialiste et démocrate au parlement européen, le leader travailliste intègre dans son logiciel les conséquences de la crise grecque à l’été 2015. Elles semblent converger avec les analyses et propositions de Yanis Varoufakis en faveur d’une action et d’un projet politiques proprement européen.

Yanis VaroufakisLe discours assuré de l’eurosceptique Corbyn en faveur du maintien peut être de nature à faire évoluer un certain nombre d’électeurs indécis mais tendant vers l’abstention voire vers la sortie, notamment dans les anciens bassins industriels du Pays-de-Galles, du nord de l’Angleterre et du Yorshire, entre autres. C’est le pari qu’il fait en articulant à ce maintien la nécessité d’une réforme. Son refus de revenir sur les propos critiques qu’il a tenus dans le passé lui confère assurément un crédit que d’autres dirigeants travaillistes ne pourraient avoir.

C’est ce qu’a salué Len McCluskey, le patron du puissant syndicat Unite : « Corbyn n’est pas un fan de l’Union européenne. Mais il a consacré une part importante de sa réflexion à la place de la Grande-Bretagne en Europe. Il en est arrivé à la conclusion que, sur les questions essentielles pour la vie des Britanniques : les emplois, l’investissement, la paix et la sécurité, rester un membre pleinement engagé au sein de l’Union européenne constitue l’option la plus progressiste. »

Silvère Chabot et Nathanaël Uhl


Bonus vidéo : The Communards – Don’t Leave Me This Way

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