Labour party : une scission qui scelle la victoire interne de Jeremy Corbyn
ILS ONT FINI PAR PASSER A L’ACTE. Comme nous l’annoncions ce matin, sept membres du parlement ont quitté les bancs du Parti travailliste pour créer un groupe indépendant. L’absence de prise en compte sérieuse de l’antisémitisme et les atermoiements sur le Brexit constituent les deux principales raisons de la rupture officialisée ce lundi 18 février. Mais Chuka Umunna, figure de proue des partants, a été plus clair encore : « Je ne peux plus soutenir la possibilité que Jeremy Corbyn devienne Premier ministre« . Du côté des loyalistes, l’argument n’a pas été pris à la légère pour instruire le procès des partants qui « permettent aux conservateurs de rester au pouvoir« .
Trois ans après l’arrivée de Corbyn à la tête du Labour, le spectre qui hantait le parti est devenu réalité. Comme lorsque la gauche a pris les rênes du Labour en 1981, une poignée de parlementaires a refusé le verdict militant, arguant de ce que cette ligne empêcherait toute arrivée des travaillistes au 10 Downing Street. Au regard du système électoral britannique, à la majorité relative à un tour, il n’est guère difficile de réaliser cette prophétie. Surtout dans un système où le bipartisme est aussi solidement ancré.
Mais il faut revenir sur les raisons du départ. Chuka Umunna incarne le rejet des positions du leader du Labour sur le Brexit. Remainer convaincu, le membre du parlement pour Streatham défend un second référendum. Clairement, la proposition de Corbyn d’un soutien au projet de Brexit porté par Theresa May en échange d’un maintien dans l’union douanière avec l’Europe des 27, a constitué le point de non retour pour Chuka Umunna. S’estimant « trahi par le Labour« , il a pointé le « manque d’engagement » de Corbyn en faveur du maintien dans l’Union européenne lors du référendum de 2016 puis son refus de se battre pour rester dans le marché unique.
Si Umunna symbolise la sanction du manque de lisibilité du leadership travailliste sur le Brexit, le départ de Luciana Berger, membre du parlement pour Liverpool Wavertree, illustre le manque d’engagement du parti dans la lutte contre l’antisémitisme. Certes, le National Executive Committee (NEC – l’organe de direction du Labour) a annoncé que 673 cas d’antisémitisme ont été signalés en dix mois, débouchant sur l’exclusion de 12 membres du parti. Mais ces cas individuels ne semblent pas avoir apaisé les esprits. Evoquant les départs, notamment celui de Luciana Berger, le leader adjoint Tom Watson a évoqué, la voix tendue, « un signal d’alarme« . Reconnaissant le côté tardif et la faiblesse des réponses, il a martelé : « Le plus petit cas d’antisémitisme est une honte pour nous tous. » Le leader adjoint a refusé de se réjouir des démissions et regretté la « tentation de la gauche dure pour les accusations d’hérésie et de trahison« . Une déclaration visant les membres de Momentum qui saluaient, eux, les départs.
Il convient de remarquer que les très proches de Jeremy Corbyn, pour leur part, ne se sont pas réjoui de la situation. Ils ont souhaité focaliser sur les bons résultats électoraux, qui témoignent d’un espoir neuf dans un pays malmené par le Brexit et les politiques du parti conservateur. Le leader a, pour sa part, fait état de « sa déception« . Ses réponses, dont nous avons fait état ce matin, sonnent un tout petit peu à côté de la plaque.
Il faut reconnaître que le bureau de Corbyn ne manque pas de préoccupation en ce moment. Il a notamment dû remplacer les permanents du parti poussés vers la sortie car considérés comme trop proches des équipes de Gordon Brown et Tony Blair, deux de ses prédécesseurs. La semaine passée, ce sont les finances du parti, plongeant dans le rouge, qui ont accaparé l’attention de la direction. Force est de constater que le leader et ses proches ont consacré l’essentiel des trois dernières années aux batailles internes dont le Labour a le secret, sans que l’on puisse dire que Corbyn a plus été malmené de ce point de vue que celui auquel il a immédiatement succédé : Ed Milliband. Ce dernier faisait face à une tentative de déstabilisation tous les six mois…
Ed Milliband a d’ailleurs été un des premiers à s’émouvoir du départ des sept parlementaires. Affirmant « regretter profondément le départ de (ses) collègues« , il a aussi relevé que « les valeurs du Labour sont toujours les (s)iennes et qu’un gouvernement travailliste constitue toujours le meilleur espoir pour le peuple de ce pays ». Enfin, l’ancien leader du parti a martelé que « le Labour est et sera toujours une église ouverte« , donc un parti rassemblant toutes les sensibilités de la gauche. Manière de tacler, gentiment, les partants qui accusent Corbyn de transformer le parti en organisation sectaire.
Le ton est monté plus brutalement du côté d’une partie des syndicats, principaux alliés de l’actuel leader du Labour. Qualifiant les partants d' »hypocrites« , le secrétaire-général du deuxième plus gros syndicat du pays, Unite, a relevé qu’une « poignée d’individus a décidé de s’écarter de la plateforme sur laquelle ils ont été élus il y a 18 mois« . De son côté, le responsable du syndicat des conducteurs de train, ASLEF, connu pour ses positions très à gauche, a affirmé que « les démissionnaires ont été élus dans le cadre d’une campagne qui a inspiré le vote de millions de personnes, générant la plus grande progression électorale du Labour depuis 1945« . Effectivement, les élections générales de 2017 ont été l’occasion pour les travaillistes de regagner des voix et des sièges pour la première fois depuis 1997.
Mais les syndicats sont loin d’être unanimes. Leader du plus important syndicat, Unison, Dave Prentis a été beaucoup plus modéré que ses camarades. Connu pour ses positions « centristes » au sein du Labour, il a appelé le parti à « se pencher sur les raisons qui amènent des parlementaires à ne plus pouvoir rester au sein du parti« . Prentis a également souhaité que le parti se concentre pour empêcher une sortie de l’Union européenne sans accord.
N’en reste pas moins que le départ des sept parlementaires signe, en creux, la victoire de Jeremy Corbyn, à l’intérieur du parti. Le plus vindicatif de ses opposants, Mike Gapes, l’a reconnu ce lundi matin. Evoquant ses batailles en interne, il a conclu : « Arrive un moment où il faut reconnaître que le parti a changé« . Cela étant, il n’est pas à exclure que d’autres membres du parlement puissent tirer les mêmes conclusions que Mike Gapes. C’est la crainte qu’a exprimée Tom Watson qui a appelé l’ensemble du parti à se corriger, en se montrant plus ouvert, généreux, à l’écoute des différences. Faute de quoi, il craint que « d’autres que (le Labour party) se fassent, à l’avenir, les hérauts des sans voix ». C’est donc peut être une victoire mais à la Pyrrhus.
Pingback: Des élections locales aux européennes, le Brexit fait trembler le paysage politique britannique – Grey Britain