Des élections locales aux européennes, le Brexit fait trembler le paysage politique britannique
LE LABOUR EN REVAIT, THERESA MAY L’A FAIT. Les conservateurs sont sortis lessivés des élections locales qui se déroulaient le 2 mai dernier. Le scrutin européen, auquel participera le Royaume-Uni quoi qu’il en soit, s’annonce encore plus dévastateur pour le parti au pouvoir. Pour autant, ce ne sont pas les travaillistes qui profitent de l’échec tory.
Le 2 mai dernier, 248 conseils locaux (sur les 343 que compte le Royaume-Uni) élus en 2015 devaient être renouvelés. Les conservateurs, qui avaient connu une année faste il y a quatre ans, disposaient de 4.894 des 8.798 sièges en jeu. Et tous les sondages annonçaient une défaite lourde, tournant autour de mille élus en moins. Dans les rangs conservateurs personne n’imaginait une victoire, l’état-major du parti tablait sur des pertes évaluées entre 500 et 800 sièges. Mais rares étaient ceux qui craignaient un tel désastre.
Une grande partie des scrutins se déroulaient dans des bastions bleu de l’Angleterre, ce qui explique notamment que les tories étaient les seuls capables de se présenter dans la quasi totalité des circonscriptions, alors que le Labour était présent dans les trois quarts et le Libéraux démocrates dans la moitié. Les écologistes n’ont pu se présenter que dans 3 circonscriptions sur 10 et UKIP qui poursuit sa déconfiture, dans près de 15 %.
La participation s’est révélée très basse, à peine un tiers de l’électorat s’est déplacé. La défaite tory est totale, 1.330 sièges perdus, des militants qui refusent d’aller à la rencontre des électeurs et qui ne parlent que de sanctionner Theresa May en raison de ses échecs répétés.
En 2018 le parti conservateur avait pu tirer son épingle du jeu en siphonnant l’électorat et une partie des cadres de UKIP, en se présentant comme le « vote utile » en faveur d’un Brexit alors évident. Cette année il ne reste plus grand chose à prendre, sauf des coups. Les réactions à la perte du tiers de localités que le parti dirigeait ne se sont pas faites attendre, et l’on ne comprend toujours pas comment Theresa May – qui a essuyé autant de défaites au Parlement et aux élections – occupe encore le 10 Downing street.
A l’extrême-droite, le renouvellement attendra les européennes
UKIP avait réalisé une percée en 2015, l’embarcation eurosceptique extrêmement de droite est balayée, au profit des tories. Des 202 sièges obtenus il y a 4 ans, au delà des défections en cours de mandat, il ne reste en 2019 que 31 élus. C’est toujours mieux que les 8 élus de 2011, mais les perspectives s’annoncent difficiles. Le parti se retrouve confronté à la nouvelle structure de son ancien leader Nigel Farage – le Brexit Party – qui à fait l’impasse sur les élections locales en faveur des Européenne ou il caracole en tête des sondages.
Miracle Lib Dem ? Rééquilibrage
Dans le contexte du Brexit, les Libéraux démocrates ont l’avantage de la cohérence sur les deux principaux partis. Et ils ont tout misé sur un axe consistant à faire du scrutin un référendum sur le Brexit, en s’adressant à toute une frange de l’électorat urbain plutôt opposé à la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne et qui vote, selon les bastions, plutôt conservateur ou Labour. Il y a également un rééquilibrage qui se produit d’élections locales en élections locales, qui atténue les raclées subies par le parti depuis 2011, lorsque les électeurs avaient durement sanctionné les Lib-Dems en raison de leur participation à la coalition avec les conservateurs (au point qu’ils avaient fondu au parlement, en 2015, passant d’une soixantaine d’élus à moins de 10).
En 2015, sur le même périmètre électoral, les Libéraux-démocrates avaient perdu plus de 400 sièges. Et en 2011, après un an de coalition avec les tories, les pertes avaient atteint 748 élus.
Les élections de 2019 permettent à ce parti de retrouver des couleurs. Il reprend 704 sièges, essentiellement au détriment du parti tory, plus rarement au détriment du Labour. Si la victoire est incontestable, la route est encore longue pour les Lib-Dems. A défaut de se retrouver dans un rôle de parti charnière, les libéraux-démocrates font taire les divisions internes sur ces perspectives et se concentrent sur ce qui les met d’accord, obtenir un nouveau référendum sur le Brexit.
Au Labour, on fait grise mine
Traditionnellement, le principal parti d’opposition réalise des gains électoraux face au parti au pouvoir. Pourtant, depuis quelques années, cette mécanique s’est grippée et les travaillistes ont frôlé la catastrophe. Certains, dans l’état-major du parti estiment que finalement, compte tenu des divisions sur le Brexit, d’une campagne quasi atone, voire inexistante localement, la perte de 84 élus locaux et de 5 conseils aurait pu être pire, en soulignant que le parti et les tories font jeu égal avec chacun 28 % des suffrages.
Pourtant, à qui sait lire les cartes électorales, le Labour aurait pu s’attendre à une bataille défensive. Si le bras droit de Jeremy Corbyn, le shadow chancelier de l’Echiquier John McDonnell n’avait pas fanfaronné en annonçant 400 gains, les chiffres pourraient être considérés comme un moindre mal dans un contexte perturbé. Mais las…
Il est clair que les tiraillements au sein de la direction du Labour – qui passe plus de temps à tenter d’épurer l’appareil du parti de ses éléments considérés comme « droitiers » qu’a s’adresser clairement aux électeurs, constituent un handicap majeur. Les divergences sur la tenue ou non d’un référendum ont aussi pesé. Les polémiques sur les négligences répétées de la direction du parti sur l’antisémitisme n’ont pas arrangé les choses.
Dans le détail : 5 conseils sur les 6 perdus par le Labour ont voté en 2016 pour la sortie du Royaume-Uni. Il s’agit de Bolsolver, Burnley, Cannock Chase, Darlington, Hartlepool (dont certains élus Labour sont partis pour rejoindre le Socialist Labour Party, celui de l’ancien syndicaliste Arthur Scargill). Le Labour reprend aux tories Mansfield, gagne Gravesham dans le Kent alors que le vote en faveur de UKIP en faisait une circonscription hors d’atteinte. Tout cela est loin de faire le compte.
En regardant région par région, les motifs d’inquiétude apparaissent, l’abstention massive dans les bastions du Nord, des Midlands et du Yorkshire coûtent cher et font nettement reculer le Labour. Les progrès enregistrés dans l’Est et le Sud Est ne suffisent pas à compenser les pertes, grosso modo un siège est remporté par le Labour dans le Sud et L’Est quand il en perd deux dans le Centre et le Nord. Il est vrai que quatre plus tôt sur le même périmètre électoral, sous la houlette d’Ed Milliband, le Labour avait perdu plus de 200 sièges. Mais il en avait gagné plus de 850 en 2011.
Ce qui apparaît, depuis 2015 et l’accession de Jeremy Corbyn à la tête du Labour, c’est un recul dans l’électorat ouvrier du Nord et du Centre et une progression dans les régions plus aisées de l’Est et du Sud. Mais cette gentrification de l’électorat travailliste ne permet pas de compenser le départ des électeurs en col bleu, qui n’avaient pas déserté du temps de Tony Blair.
Les Verts ont le sourire
Les écologistes ont en commun avec les Libéraux démocrates de bénéficier d’une ligne cohérente sur le Brexit. Ils ont clairement porté le fer sur cette question, tout en menant des campagnes locales. En 2015, le parti pointait derrière UKIP, avec 87 élus, en progression de 10 sièges. Ce qui, compte tenu de son implantation et de l’omniprésence du Labour à gauche, était honorable. Avec 194 gains cette année, ils s’affirment au détriment du Labour. Au delà de cette percée, le rapport de force reste en faveur du Labour qui détient sur ce périmètre plus de 2.000 élus.
Les indépendants
Forte progression de cette catégorie fourre tout, à laquelle on peut ajouter les élus au nom des associations de locataires qui doublent leurs sièges (119), on compte au total 1.045 élus indépendants, soit 600 de plus. Sont également comptés dans cette catégorie, les 43 candidats du Socialist Party ; les candidats d’extrême droite, tel For Britain qui obtient deux élus, tout en perdant son seul élu sortant ; des dissidents de partis traditionnels et autres ont aussi profité du rejet suscité par les principales organisations du pays.
L’Irlande du Nord
Principal enseignement du scrutin, la participation à été plus élevée qu’en Angleterre. Près de 53 % de votants se sont déplacés. Le DUP, allié unioniste de Theresa May, demeure le premier parti, mais subit une érosion avec 26 % des voix et une perte de 8 sièges (pour atteindre 122). Le Sinn Fein, qui milite en faveur du rattachement à la République d’Irlande, reste en seconde position, avec 23 % et 105 sièges. D’autres mouvement unionistes sont en recul (UUV perd 13 élus, et le TUV issu du DUP en perd 7). Seule Alliance pour l’Irlande du nord, qui se décrit comme unioniste modéré, progresse nettement de 21 sièges. Le SDLP proche du labour recule de 66 à 59 élus, tandis que les Verts passent de 4 à 8 élus, et People’s before Profit émerge et passe de 1 à 5 élus. Les tories d’Irlande du nord sont rayés de la carte et n’ont plus d’élus. Ukip passe de 5 à 3 élus.
La déflagration attendue des européennes
A peine la défaite digérée, le Royaume-Uni se retrouve à organiser à la va vite un scrutin pour les élections européennes. La précipitation n’est pas sans conséquences, notamment sur l’électorat. Selon la dirigeante écologiste Caroline Lucas, près de 8 millions de britanniques ne sont pas inscrits sur les listes électorales.
Les derniers sondages en vue du scrutin sont dévastateurs pour les conservateurs. Selon les instituts, il serait crédité, au mieux, de la troisième place, derrière le Labour et le nouveau parti de Nigel Farage. Derrière, on se distribue les miettes. Si, depuis 2016, les Tories capitalisaient le vote utile en faveur du Brexit, l’incapacité de Theresa May à rassembler une majorité en faveur de son projet d’accord, a inversé la donne.
Au vu des résultats aux élections locales, l’électorat tory et travailliste semble se radicaliser sur la question du Brexit. Les partisans de la sortie se reportent sur le Brexit Party, qui porte une ligne claire ; les défenseurs de l’Union européenne se retournent vers les Lib-Dems, pour la droite, ou les Greens pour la gauche. Les travaillistes ont deux semaines pour clarifier leurs positions et tenter de limiter les dégâts de ce qui est, déjà, annoncé comme une nouvelle défaite pour Jeremy Corbyn.