Jeremy Corbyn à la tête du Labour : cent jours et sans certitudes

Peu avant Noël, Jeremy Corbyn a fêté ses 100 jours à la tête du parti travailliste. Outre-Manche, l’événement a été abondamment scruté, disséqué, commenté. Avec le recul que nous vaut notre situation géographique, l’équipe de Grey Britain pose aujourd’hui son regard sur cette période.

En premier lieu, le nouveau leader du Labour, élu par une très large majorité, n’a connu aucun état de grâce. Le parliamentary Labour party (PLP), la composante parlementaire du parti travailliste, n’a accordé aucun répit à celui qui porte une ligne globalement opposée à la sienne. Rappelons que le PLP est, dans son ensemble, dominé par l’aile droite du Labour. Que le membre du parlement pour Islington-North bénéficie du soutien de la base militante n’a pas l’air de poser le moindre problème de légitimité aux grands élus du Parti, qui continuent, sur chaque sujet, à mener la guérilla.

Le frontbench travailliste est encore fragile et manque de cohérence

Le frontbench travailliste est encore fragile et manque de cohérence

Dernier témoignage en date de cette réalité mortifère pour le principal parti d’opposition : le vote sur les frappes aériennes en Syrie. Corbyn est un pacifiste convaincu et un homme de principes. Une minorité qualifiée des parlementaires travaillistes, y compris au sein du shadow cabinet, s’inscrivent dans la tradition blairiste et soutiennent l’intervention armée face à Daesh. A l’issue d’un week-end de tensions internes, Corbyn a accordé la liberté de vote, permettant à Hilary Benn, shadow foreign secretary, de se tailler un succès à l’applaudimètre avec son discours belliciste mais de belle facture au sein de la Chambre des Communes.

Cet épisode rappelle que Corbyn est tout sauf un tacticien roué aux manoeuvres d’appareil. Pour éviter une guerre interne, il a annoncé la liberté de vote avant la réunion du shadow cabinet et du PLP, alors qu’il disposait d’une consultation interne au Labour montrant que 75 % des adhérents soutenaient sa position. Il eut aisément pu arriver dans les deux instances de décision sur une ligne dure pour lâcher du lest en cours de route. Son choix de l’apaisement l’a, au contraire, mis en difficulté. Mais, au final, une majorité des élus et du shadow cabinet a voté contre les frappes aériennes, confortant au final la position du leader.

Pour la première fois de son histoire, la parité règne au shadow cabinet travailliste

Pour la première fois de son histoire, la parité règne au shadow cabinet travailliste

Pour autant, et malgré la plutôt bonne tenue de Corbyn lors de Prime Minister Questions, le shadow cabinet n’apparaît pas encore capable de tenir tout son rang face au gouvernement conservateur. Outre que la majorité dont y dispose Corbyn est fragile, peu de personnalités s’y affirment outre le leader, le shadow chancelier de l’Echiquier John McDonnell et, dans une moindre mesure, Angela Eagle qui supplée Corbyn quand il n’est pas là. Depuis l’épisode sur les frappes aériennes, les rumeurs de reprise en main vont bon train. Mais la pratique impulsée par Corbyn depuis sa prise de fonction ne les rendent pas crédibles.

En effet et contrairement à ce que l’on attendait de lui, et surtout de John McDonnell, son bras droit à la réputation de cogneur, Corbyn refuse de faire couler le sang. Il préfère jouer sur le temps long et amener, sur ses positions, un PLP réfractaire. Cela vaut surtout sur les questions internationales et liées à la paix. Parce que, sur la question de l’austérité, il ne lâche rien. Et le leader du parti parvient, sur ce sujet précis, à imposer ses vues, notamment grâce à l’aide du deputy leader Tom Watson. Il y a de l’intelligence stratégique dans cette méthode. Le parti est favorable au renouvellement des missiles trident contre l’avis de Corbyn ? Il n’en fait pas à une maladie mais rappelle que l’opération coûte 100 milliards de livres en pleine période d’austérité, ce qui devrait amener à faire des priorités…

Corbyn sur un piquet de grèveCorbyn a enregistré, sur le champ de la lutte contre l’austérité, deux victoires majeures quoi que symboliques. Il a contraint, avec l’aide inattendue de la Chambre des Lords, le gouvernement à un virage à 180 degrés sur la question des crédits d’impôts que George Osborne entendait réviser à la baisse. L’autre point politique marqué par Corbyn a permis de briser son image d’angélisme en matière de sécurité. Il a en effet amené Cameron à réviser sa copie pour ce qui concerne les coupes dans le budget… de la police.

C’est dans ce contexte que Jeremy Corbyn a trouvé un peu de répit. L’élection partielle d’Oldham, et la victoire du candidat travailliste par une majorité de plus de 10 000 voix, lui donne l’air que les élections partielles lui refusaient. Cette élection remportée ne tranche pourtant rien. Corbuyn et son staff y voient la validation de leur orientation vent debout contre l’austérité. Les blairistes mettent en avant la campagne et l’enracinement du candidat, lequel se trouve être l’un des leurs.

Corbyn accueille MacMahon, vainqueur à Oldham

Corbyn accueille MacMahon, vainqueur à Oldham

Pour le nouveau leader, le vrai test aura lieu au printemps à l’occasion des élections locales. Trois points seront particulièrement scrutés. A Londres, c’est la succession de Boris Johnson, le maire conservateur qui ne se représente pas, qui est en jeu. Les sondages donnent Sadiq Khan, candidat du Labour, en tête devant le représentant des Tories. Au Pays-de-Galles, la seule question en suspens reste l’ampleur de la victoire travailliste. Reste enfin l’Ecosse où, avec la régularité d’un métronome, toutes les enquêtes d’opinion annoncent un nouveau raz-de-marée électoral en faveur du Scottish National Party, dirigée par la première ministre écossaise Nicola Sturgeon.

Jeremy Corbyn multiplie les visites dans l’ancien fief travailliste. Il a accordé au Scottish Labour Party une plus grande autonomie pour que les travaillistes écossais n’apparaissent plus comme inféodés à un Westminster honni au-delà du mur d’Hadrien. Mais, derrière les considérations électorales inhérentes à la direction d’un parti appelé, un jour ou l’autre à gouverner, la manière dont Corbyn traite le Labour écossais est aussi révélatrice de son ambition pour tout le Labour. Alors qu’aujourd’hui l’agenda politique est fixé par un compromis, forcément bancal, entre le leader et le PLP, il entend rendre aux adhérents la primauté dans la décision sur les grandes orientations du parti. Ce, afin de transformer le vénérable Labour en un mouvement social plus en phase avec la société britannique.

Corbyn et McDonnell en phoningAu regard de cette ambition, il a enregistré de vrais succès. Le nombre d’adhérents directs du Labour a doublé et se rapproche des records datant de l’arrivée de Blair au pouvoir en 1997. Symboliquement parlant, le retour du syndicat des pompiers au bercail travailliste, plus de dix ans après un départ fracassant, constitue aussi un témoignage du lien renforcé avec les syndicats. Ce, même si le puissant secrétaire de Unite, première organisation syndicale du pays, ne ménage pas ses critiques envers Corbyn. Len McClucksey lui reproche essentiellement de manquer de fermeté dans l’exercice de son leadership.

Pour Corbyn et son équipe, c’est là la condition pour que les travaillistes puissent renouer avec la victoire en 2020. Mais cette ambition, comme la présence du vétéran socialiste à la tête du Labour, reste conditionnée à une bonne tenue électorale dans les prochains mois.

Silvère Chabot et Nathanaël Uhl

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