Labour : avec la candidature Corbyn, la gauche bouscule le leadership

ANALYSE. Il devait être celui qui anime le débat interne au parti travailliste. Cetains MPs lui ont accordé leur parrainage uniquement dans ce but. Si le candidat de gauche au leadership du Labour Jeremy Corbyn remplit bien cette mission, il bouscule pourtant bien des certitudes. Au point de créer la surprise le 10 septembre prochain ? Il y a un pas que nul ne franchirait mais les bookmakers doivent certainement revoir la cote du MP pour Islington North à la hausse. Dans le blog qu’il tient sur le site de The Independant, le journaliste Andy McSmith rappelle opportunément que le favori pour l’élection de chancelier de l’université de Manchester, l’ex ministre blairiste Lord Peter Mandelson, a été battu par le poète Lemn Sissay.

Il montre la direction : "Go Left !"

Il montre la direction : « Go Left ! »

Depuis la magnifique mise en scène de sa nomination, l’ultime parrainage indispensable pour y avoir accès arrivant à trente secondes de l’échéance, Jeremy Corbyn déroule une partition sans accrocs. De débat télévisé en débat interne, il écrase ses concurrents à l’applaudimètre sans rien enlever de son discours basé sur les valeurs de transformation sociale. Ce faisant, il remplit à la lettre la mission qu’on lui a assignée : animer l’échange, faire vivre ce qui devait être un semblant de confrontation politique pour rassurer une base déboussolée après un des pires échecs qu’ai connu le Labour depuis les années 80. Reconnaissons à la blairiste Liz Kendall de contribuer, avec des arguments strictement opposés, la discussion (au sens anglais du mot) au sein du Parti. Mais, le premier débat a aussi changé quelque chose de profond dans la candidature Corbyn. Elle n’est plus du tout une candidature de témoignage.

« Malheureusement, c’est mon chapeau qui est sorti »

Des manifestants contre l'austéritéEn premier lieu, rappelons qu’elle n’est pas celle d’un homme mais d’une équipe, celle des socialistes du parti travailliste dans leur majorité. Certes, Ian Lavery, l’ancien patron du syndicat des mineurs et MP de Wansbeck, a apporté son parrainage à Andy Burnham. Mais l’essentiel du Socialist Campaign group, les parlementaires de la gauche du Labour, sont engagés aux côtés de Corbyn. Le candidat revient sur les conditions du choix : « Nous avons débattu entre nous (la gauche du parti) et nous avons décidé que quelqu’un devait jeter son chapeau dans l’arène pour promouvoir nos axes de débat. Malheureusement, c’est mon chapeau qui est sorti, relate le discret activiste. Diane Abbot et John McDonnell l’ont déjà fait. C’était donc mon tour. »

Depuis, le MP d’Islington-North ne cesse d’engranger les soutiens de la base militante du Labour. Mais aussi du très actif mouvement social britannique. Au lendemain de sa nomination, l’ancien quotidien du Parti communiste de Grande-Bretagne, le Morning Star, appelait ses lecteurs à rejoindre le parti travailliste pour aider Corbyn. L’éditorialiste Owen Jones, connu pour ses positions radicales, a annoncé qu’il adhérait au Labour dans le même sens. Les pacifistes de Stop the War coalition, aussi, ont apporté leur soutien à un de ses membres les plus éminents. Il faut reconnaître que Jeremy Corbyn a été de tous les combats depuis plus de quarante ans avec une constance qui force le respect : opposition aux guerres du Vietnam, des Malouines, d’Afghanistan et d’Irak. Il a milité pour la paix en Irlande du Nord et soutenu le Sinn Fein. Il est de toutes les manifestations contre l’austérité. Samedi 20 juin, il a été un des orateurs les plus applaudis par le quart de million de personnes rassemblées à Londres.

Favori des réseaux sociaux

Jeremy Corbyn et des manifestants solidaires de SyrizaLe nouveau héraut du Red Labour, républicain convaincu, socialiste affirmé, bénéficie aussi de l’appui des bases syndicales. Mais, là aussi, il y a du nouveau. ASLEF, le syndicat des conducteurs de train, dont la section pour le métro de Londres a lancé un préavis de grève, invite ses adhérents à voter pour Corbyn. Le groupe Campaign for Labour Party Democracy (campagne pour la démocratie au sein du parti travailliste) confirme le vétéran travailliste (66 ans) comme son premier choix. Dans sa garde rapprochée figurent deux des plus détonnants MPs britanniques du moment : le républicain élu de Leeds-East Richard Burgon et le tout nouveau président du groupe parlementaire humaniste : Clive Lewis. Et, dernièrement, Simon Fletcher, ancien conseiller d’Ed Miliband après avoir été le chef d’état-major de Ken Livingston (ancien maire de Londres, surnommé « Ken le rouge »), a rejoint l’équipe de campagne de Jeremy Corbyn, dont il a pris la tête…

Jeremy Corbyn avait pourtant promis : "pas de selfies"...

Jeremy Corbyn avait pourtant promis : « pas de selfies »…

La campagne porte d’ailleurs ses fruits. Sur les réseaux sociaux, où l’équipe #Corbyn4leader est très active, le courant en faveur du parlementaire d’Islington-North est particulièrement fort. Son discours clairement ancré à gauche, son refus de la bataille de personnes, nourrissent cet élan. Etudiant 500 000 mentions pour un mois, tant sur facebook que sur twitter, la société d’analyses Talkwalker place Corbyn comme candidat le plus populaire. Il est en tête avec 30 % de mentions positives pour seulement 23 % de mentions négatives. Liz Kendall est la seconde favorite des réseaux sociaux avec 23 % de mentions favorables. A l’opposé, l’actuel favori pour le leadership, Andy Burnham, est classé dernier avec seulement 14 % de mentions positives pour 61 % de mentions négatives.

Cette mobilisation sera-t-elle suffisante pour assurer l’élection d’un candidat de gauche à la tête d’un des plus puissants partis de la gauche européenne ? Cela reste à voir. Mais le changement des règles de désignation du leader du Labour laisse les choses bien plus ouvertes qu’on pourrait le croire. Le principe « un adhérent une voix » contribue à bousculer la donne. Cette réforme, qui devait accélérer la professionnalisation du parti travailliste, pourrait devenir finalement un formidable instrument de démocratie. Si, parce qu’il y a un si… Si les manœuvres d’appareil n’amènent pas à des alliances contre nature.

Nathanaël Uhl

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Bonus vidéo : Fear Factory – Resurrection

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