David Cameron, le PigGate et la guerre de succession

« C’est un coup de poignard dans le dos », a fini par déclarer le Premier ministre britannique à propos du livre de Lord Ashcroft, Call Me Dave. L’ancien vice-président et trésorier du parti conservateur, généreux donateur des tories, n’y va pas de main morte dans cette biographie non autorisée, que publie le tabloid Daily Mail sous forme de feuilleton. Il dépeint un Cameron volage, amateur de drogues et de beuveries lors de sa jeunesse estudiantine et dorée à Oxford, insérant son sexe dans la gueule d’un cochon mort. Le relais que trouvent ces déclarations, fracassantes pour la puritaine Grande-Bretagne, témoigne surtout que la guerre de succession est bel et bien déclarée au sein d’un parti conservateur au sein duquel certains ne cachent plus leur volonté de voir David Cameron prendre sa retraite politique.

A qui veut bien chercher, la vie dissolue de David Cameron n’est pas vraiment une découverte. Comme beaucoup des étudiants issus de la très haute société, il a fréquenté des associations plus ou moins formelles dont le but est de former une fraternité toujours utile pour une carrière à venir. Il en va ainsi du très fameux Bullingdon club, une fraternité vieille de plus de 200 ans que le New York Times décrivait ainsi en 1913 : « Le Bullingdon représente le point culminant de l’exclusivité à Oxford. C’est le club des fils de l’aristocratie, des fils des familles fortunées. Y adhérer fait de vous un des young bloods de l’université ». Selon les informations disponibles, outre David Cameron, George Osborne, l’idéologue et chancelier de l’Echiquier conservateur, et Boris Johnson, maire de Londres, en ont été membres. Autant dire que tous les dirigeants actuels et à venir du parti conservateur sont issus de la même fraternité.

David Cameron (2) et Boris Johnson, actuel maire de Londres (8), à l'époque du Bullingdon club.

David Cameron (2) et Boris Johnson, actuel maire de Londres (8), à l’époque du Bullingdon club.

Selon le livre scandale de Lord Ashcroft, Cameron et Johnson auraient aussi appartenu à la Piers Gaveston society, un club fondé en 1977 à destination d’un groupe très fermé de d’étudiants uniquement masculins et, là encore, issus de la upper society. Tenant son nom d’un favori et probable amant du roi Edward II d’Angleterre, cette association informelle (il n’y a aucune carte de membre) véhicule encore plus de fantasmes que le Bullingdon Club, à base de drogues et de parties fines. Parmi les membres supposés, outre les susmentionnés, on aurait trouvé l’acteur Hugh Grant ; Tom Parker Bowles, fils de la duchesse de Cornouailles (et donc beau-fils du Prince Charles) ; le financier Nat Rotschild ; le membre du Parlement et tory Rory Stewart… Le fin du fin de ce que peut compter l’aristocratie nobiliaire ou d’affaire au Royaume-Uni.

Ce côté sombre de la haute société britannique a déjà été dépeint par les tabloids, qui en sont extrêmement friands, mais aussi par le cinéma (The Riot Club, très inspiré du Bullingdon) ou par la littérature (le magnifique Vices privés, vertus publiques de Robin Cook). Dans un pays où beaucoup s’achète, jusqu’aux titres de noblesse, le mélange entre argent, alcool, drogues et sexe constitue toujours l’assurance d’un lectorat conséquent. Lord Ashcroft, qui doit en partie son titre de pair aux 8 millions de livres qu’il a versés aux tories, le sait. En insistant sur le caractère volage et débauché de l’actuel Premier ministre, il peut mener le lecteur à la partie plus importante de son message : David Cameron serait inconséquent et incapable de « tenir le job ».

Les tabloids se déchaînentComme David Cameron n’a jamais caché que ce qu’il préfère dans le mandat de Premier ministre c’est la résidence de campagne où il peut se détendre, Ashcroft joue sur du velours. Encore plus quand le locataire du 10 Downing Street préfère surfer que de revenir à Londres pour affronter la crise des réfugiés à l’été 2015. Si l’assaut de l’ex généreux donateur du parti tory ne devrait déboucher que sur de bons chiffres de vente -la majorité tory à la Chambre des communes exclut une vraie crise parlementaire -, il met surtout en lumière qu’une partie des conservateurs a décidé de pousser Cameron vers la sortie. Là encore, « Dave » ne peut s’en prendre qu’à lui-même.

En annonçant qu’il ne briguerait pas un troisième mandat, en laissant entendre que, déjà, le deuxième c’est – quasiment – pour rendre service, il a ouvert la boîte de Pandore. Cameron sait gagner une élection générale, il l’a montré, et le parti conservateur doit lui trouver un successeur qui puisse s’installer dans le paysage et envisager de gagner les élections de 2020. Donc, Cameron devient gênant, puisque sa popularité, bien réelle, empêche l’émergence d’un potentiel futur Premier ministre. Ce scénario rappelle la démission forcée de Margaret Thatcher qui a été contrainte, par un coup d’état interne aux conservateurs, de laisser la place à John Major.

Lord Ashcroft et Boris JohnsonCameron, installé dans la résidence des Premiers ministres, fait de l’ombre à deux personnes en particulier : George Osborne, un de ses très proches et dauphin putatif, mais aussi et surtout le bouillant Boris Johnson, ennemi intime tant d’Osborne que de Cameron. Le blond et gaffeur maire de la capitale jouit d’une notoriété importante, bien plus forte que celle du Chancelier de l’Echiquier. Elle est justement nourrie d’un franc-parler et d’une sorte de refus de l’establishment, dont il est pourtant issu. Boris Johnson ou Bo Jo – Alexander Boris de Pfeffel Johnson, de son vrai nom – ne cache pas ses ambitions et table sur la défiance des militants vis-à-vis des élites d’Oxbridge pour prendre le parti et donc le 10 Downing Street.

Mais, pour cela, il faut d’abord que Cameron, qui aurait perdu son portable de fonction dans une soirée trop alcoolisée, daigne quitter les lieux. Or, il dispose encore d’une solide majorité au Parlement. Même si le référendum que le Premier ministre a annoncé sur l’Europe se révèle plus piègeux qu’il ne l’avait imaginé. Dans ce contexte, les allégations de Lord Ashcroft se révèlent bien utiles pour parachever de discréditer Cameron à l’intérieur du parti conservateur.

Nathanaël Uhl

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Bonus vidéo : CHVRCHES – Get away

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