Cameron et Osborne matent la rébellion tory sur les crédits d’impôt

La révolte gronde, déjà, parmi les parlementaires conservateurs. Ce n’est pas – encore – le référendum pour ou contre le maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne qui est la cause de cette rébellion. Dans la foulée des interventions de Boris Johnson lors de la conférence d’automne des Tories, c’est bien la baisse du plafond de revenus pour bénéficier de crédits d’impôt qui est à l’origine de la grogne. Mardi 20 octobre, à l’occasion du débat sur ce dossier brûlant à la chambre des communes, la tension a monté d’un cran. Et les membres travaillistes du parlement ont mis en lumière la brutalité de George Osborne, le chancelier de l’Echiquier, sur cette mesure emblématique. Ce dernier a obtenu un vote quasi unanime des élus conservateurs, y compris les plus rebelles. Et la crise se déplace désormais à la chambre des Lords.

Ces crédits d’impôt sont accordés aux Britanniques les plus pauvres, qu’ils travaillent ou qu’ils soient privés d’emploi. Ils s’adressent, en priorité, à des familles dont les revenus cumulés sont inférieurs à 20,000 livres par an. Le plafond pour bénéficier des crédits d’impôt à leur niveau plus élevé est actuellement de 6,420 livres par an ; le projet gouvernemental entend le réduire à 3,850 livres annuelles. George Osborne présente la révision du plafond de revenus nécessaire pour en bénéficier comme compensée par une hausse importante du salaire minimum horaire, qui doit passer de 7,20 à 9 livres de l’heure en 2020. Mais les études réalisées par nombre d’organismes indépendants, dont le très sérieux Institute for fiscal studies (IFS), annonce plutôt une perte sèche de pouvoir d’achat pour des millions de Britanniques.

Les familles les plus pauvres seront frappées

Les familles les plus pauvres seront frappées

Selon les prospectives de l’IFS, 13 millions de foyers subiront une perte moyenne de 240 livres par an. Les mêmes études annoncent surtout que les 3 millions de familles connaîtront une perte annuelle de pouvoir d’achat d’environ 1,000 livres… George Osborne attend une économie de 4,4 milliards de livres grâce à ces mesures ; au total, ses propositions de réforme de l’action sociale devraient amputer les budgets sociaux de 12 milliards de livres. Son objectif demeure d’atteindre un budget excédentaire en 2020. Or, c’est précisément sur les conséquences pour les familles de cette orientation qui est à l’origine de la révolte de certains élus conservateurs. Elle a été illustrée, le 20 octobre, par le maiden speech de la membre du parlement pour South Cambridgeshire Heidi Allen. Nouvellement élue à la chambre des communes, la quadragénaire est devenue la porte-parole des compassionate conservatives, les tories qui s’opposent – en parole – à la réduction des crédits d’impôt.

Il est juste que les gens soient encouragés à lutter pour leur autonomie et à trouver un emploi bien payé qui les rende indépendants de l’Etat. Mais j’ai peur que notre détermination résolue à réaliser un excédent budgétaire ne trahisse qui nous sommes. Je sais que les vrais Conservateurs ont la compassion dans les veines.

Le visage de la rébellion des compassionate conservatives

Le visage de la rébellion des compassionate conservatives

Cette saillie, qui ciblait directement le chancelier de l’Echiquier, a reçu le soutien de barons du parti conservateur, dont l’ancienne présidente et désormais pair du royaume Lady Warsi. Elle a salué le « discours courageux rappelant (nos) principes » de sa collègue de la chambre des communes. Un écho aux propos de Boris Johnson, maire de Londres, qui avait accusé, quelques jours plus tôt, le gouvernement de « se ruer sur les pauvres qui travaillent ». Pour celui qui est candidat à la succession de David Cameron, il n’y a aucune raison de ne pas cogner sur George Osborne, son plus dangereux rival. Cela posé, le revirement discursif d’une partie des tories n’est pas exempt de toute arrière-pensée.

Jeudi 15 octobre, lors de Question time, une émission très regardée de la BBC, une ancienne électrice conservatrice a créé l’émotion en pleurant à l’antenne, expliquant qu’elle « ne pourrait plus joindre les deux bouts » en raison de la réforme des crédits d’impôt. Un cri de colère et de désespoir qui renvoie les conservateurs aux heures sombres de la « poll tax », à l’origine de la chute de Margaret Thatcher. Les spécialistes en prospective électorale estime à 71 le nombre de sièges que pourrait perdre le parti tory aux élections générales en raison de ces mesures et de la manière dont elles sont reçues par l’opinion publique.

"Honte à vous !", a lancé Michelle Dorrel à Osborne

« Honte à vous ! », a lancé Michelle Dorrel à Osborne

Pour autant, au final, tous les membres du parlement élus sous l’étiquette conservatrice ont voté la baisse du crédit d’impôt. Le fouet a dû siffler dans les couloirs de Westminster. Même les membres de la chambre des Lords ont été rappelé à l’ordre. Alors que les tories n’y disposent que d’une majorité relative, une alliance entre pairs travaillistes, lib-dems et non-inscrits, autour d’une « fatal motion » (équivalent d’une motion de défiance dans le cadre du système de Westminster) aurait pu contraindre Osborne et Cameron à revoir leur copie. La réponse du gouvernement a été toute aussi cinglante à l’endroit de la chambre haute. En l’occurrence, elle a pris la forme d’un chantage : « Si vous votez une « fatal motion », nous réduirons encore les pouvoirs de la chambre des Lords ». Le message semble avoir été reçu, notamment par les non-inscrits qui sont rapidement revenus à la raison de leurs prébendes.

Cette crise politique au sein du parti conservateur et la violence des moyens utilisés pour la juguler témoignent d’une chose : le duo Cameron-Osborne n’entend pas se laisser distraire. Il mettra en œuvre sa vision idéologique ultra-libérale, fusse à marche forcée. Elle se résume à une antienne : « bosse ou crève ». Décidément, Margaret Thatcher a de quoi être fière de ses héritiers.

Nathanaël Uhl

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