Les heures sombres de Winston Churchill

« Je ne vous promets que du sang, de la sueur et des larmes. » Ces mots de Sir Winston Churchill, alors premier ministre, résonneront encore longtemps. Prononcés dans la chambre des Communes le 13 mai 1940, alors que les troupes allemandes déferlent sur la France, ils affirment l’esprit de résistance britannique. Ce 3 janvier 2018, ces paroles sont au coeur du film Les Heures sombres, qui retrace le rôle de Winston Churchill dans la résistance face à l’Allemagne nazie. Mais cette promesse de sang, sueur et larmes a été tenue par le plus célèbre des  Britanniques à l’égard des Irakiens, des mineurs gallois en grève, des Irlandais… 

C’est sous l’étiquette du parti libéral, qu’il rejoint lors des élections générales de 1906, qu’il commence une longue carrière ministérielle. Il est nommé Home secretary en 1909, dans une période marquée par la multiplication de conflits sociaux. Il doit sa nomination à son image de fermeté. Elle va se trouver vérifier dès l’année suivante alors que les mineurs de la vallée de la Rhondda, au Pays-de-Galles, se mettent en grève pour obtenir des augmentations de salaires. Face à la généralisation de l’arrêt de travail, consécutive à la décision de lock out et d’utilisation de briseurs de grève prise par les houillères, des émeutes éclatent. Le chef de la police locale demande l’envoi de troupes.

Chargé du maintien de l’ordre, Churchill décide d’autoriser le déploiement de l’armée jusqu’à Cardiff et Swindon. La suite fait encore l’objet de controverses entre historiens. Selon certains, les soldats ont été jusqu’à tirer sur les grévistes tandis que d’autres éléments montrent que le brillant politicien issu de l’aristocratie est critiqué pour son refus d’envoyer les militaires à Tonypandy, épicentre du conflit. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui encore, en Galles du Sud, Churchill dispute à Margaret Thatcher le titre de responsable politique le plus haï.

En 1911, lors de grèves à Liverpool, l’armée est envoyée et, cette fois, les faits sont indiscutables : les soldats tirent sur la foule, tuant deux personnes. Cette même année, le jeune ministre se signale encore à l’occasion du siège de Sidney Street, dans l’Est londonien. Dans ce quartier populaire, un groupe d’anarchistes lettons dirigé par « Peter the painter » s’est retranché après plusieurs affrontements avec la police. Le chef du groupe est accusé d’avoir abattu deux policiers. Plus de 400 membres des forces de l’ordre sont rassemblés pour mettre fin aux activités de ce qui est présenté comme l’équivalent anglais de la bande à Bonnot.

Churchill est en haut de forme, au centre gauche de la photo

Rapidement, des clichés circulent montrant que Churchill est présent sur les lieux. A-t-il dirigé directement l’opération en tant que Home secretary ou a-t-il profité de l’événement pour soigner sa notoriété ? Le débat, là encore, se poursuit. N’en reste pas moins que, depuis ses jeunes années qui l’ont vu passer du statut d’officier aux Indes à celui de correspondant de guerre pendant la seconde guerre des Boers, le descendant du premier duc de Marlborough aime se frotter à l’action.

Après plusieurs autres rôles ministériels, Churchill obtient la responsabilité de War and Air Secretary (ministre de la Guerre et de l’Air) en janvier 1919, 11 jours après le début de la guerre d’indépendance irlandaise. Dans  ce contexte, le nouveau ministre autorise le déploiement des Black and Tans, une unité composée d’anciens soldats démobilisés qui ont pour charge d’écraser l’Irish Republican Army (IRA). Au nombre de 16,000, équipés d’automitrailleuses, cette force auxiliaire se signale rapidement par la brutalité de ses méthodes.

Non soumis à l’autorité militaire, ils s’engagent dans une sorte de vendetta avec l’IRA, dont la population civile paie le prix. Plusieurs villages et bourgades, dont Tuam dans le comté de Galway, Trim, Balbriggan ou Templemore sont saccagés quand ce n’est pas incendiés par les Black and Tans, lesquels se voient accusés de l’enlèvement et du meurtre, le 14 novembre 1920, d’un prêtre catholique, Michael Griffin. En janvier 1921, un rapport parlementaire relève que, en créant les Black and Tans :

« Le gouvernement a libéré des forces qu’il n’est, à présent, plus capable de dominer. »

Les exactions de cette unité auxiliaire choquent l’opinion publique tant en Irlande qu’en Grande-Bretagne. Pourtant, Churchill refuse à plusieurs reprises de les condamner et, plus encore, de dissoudre cette unité. Au contraire, il défend l’utilisation des moyens aériens dans la lutte contre l’IRA. En revanche, le War and Air Secretary jouera un rôle clé dans la négociation puis la signature du traité anglo-irlandais de 1921 qui met fin à la guerre.

Battu aux élections générales de 1922, l’étoile montante de la politique britannique quitte le parti libéral qui retourne au gouvernement en alliance avec les travaillistes. Pour lui, le socialisme constitue « l’ombre de la folie communiste ». Farouchement opposé à la jeune révolution bolchévique, il est détesté par une grande partie de la gauche. Churchill retrouve un siège à Epping lors du scrutin de 1924. Il intègre à nouveau le gouvernement, cette fois comme Chancelier de l’Echiquier puis retourne au parti conservateur.

En matière de répression, il joue un rôle mineur dans la grève générale de mai 1926. Le premier ministre, Stanley Baldwin, veut mettre à l’écart celui qui défend la position la plus intransigeante face aux syndicats. Pour autant, le chancelier ne reste pas étranger au conflit. Baldwin confie en effet à Winston Churchill la mise en place de l’organisation pour le maintien de la production (« Organization for the Maintenance of Supplies, OMS »), constituée de membres des classes moyennes briseurs de grève.

Il prend également la responsabilité de la British Gazette, un organe de presse spécialement créé par le gouvernement pour imposer son récit de la situation. Alors que tous les journaux sont bloqués par la grève, la British Gazette est le seul organe de presse à paraître et sa diffusion atteint plus de 2.2 millions d’exemplaires. Il soutient l’état d’urgence, qui est décrété dès le 1er mai, le déploiement de l’armée dans 5 comtés industriels et le recours à la Royal Navy.

En 1927, lors d’une conférence de presse à Rome, Winston Churchill tient des propos favorables à Mussolini, qui a instauré un régime fasciste en Italie. Cette déclaration provoque la fureur du rédacteur en chef du Manchester Guardian, alors un journal influent. Pour sa défense, Churchill affirme que l’Angleterre doit défendre tout régime continental opposé à son plus grand ennemi, le communisme. Il déclare à cette occasion que :

« si j’avais été Italien, je suis sur que j’aurais été à fond avec lui [Mussolini] ».

Il continue dans les années qui suivent à défendre le fascisme, expliquant par exemple en février 1933, à une réunion de la Ligue antisocialiste britannique, que « Mussolini est le plus grand législateur vivant » et a « montré à beaucoup de nations que l’on peut résister au développement du socialisme ». Ses prises de position valent au gouvernement conservateur d’être interpellé par l’opposition travailliste.

Tout au long de ces années, Churchill a également montré combien il est un homme de sa classe et de son temps. Issu de l’aristocratie anglaise et protestante, il porte un héritage largement ethnocentré qui l’amène à considérer que la civilisation blanche est « plus forte » que les autres. Il ne voit aucun mal à utiliser les gaz lacrymogènes contre les populations irakiennes en rébellion, populations qualifiées de « tribus non civilisées ». Favorable à la création d’un foyer national pour les juifs, nombre de ses propos sont marqués par un antisémitisme latent. Ainsi, il déclare tranquillement dans une tribune publiée par le Sunday Herald le 8 février 1920 :

« Aucun besoin d’exagérer le rôle joué dans la création du bolchevisme et dans ce qui a amené la Révolution russe par ces juifs internationaux, athées la plupart. Ils ont eu très certainement un très grand rôle qui l’emporte probablement sur tous les autres. À l’exception notable de Lénine, la majorité des figures de proue sont juifs. »

La suite de l’histoire est plus connue. Devenu premier ministre à la place de Neville Chamberlain, en pleine guerre avec l’Allemagne nazie, Churchill incarnera l’esprit de résistance des Britanniques, lesquels, de juin 1940 à l’invasion de l’Union soviétique un an plus tard, se dresseront seuls face à Hitler.

4 comments

  • Servat véro.

    Très intéressant sur la répression sociale en début de siècle. Qq références bibliographiques ? Merci.

    • Bonjour Véronique et merci pour ce retour.
      En termes de bibliographie, sans prétendre à l’exhaustivité :
      Le mouvement ouvrier britannique : esquisse historique, par le regretté François Bédarida ;
      Le Syndicalisme en Grande-Bretagne par M. Chariot (1970) ;
      Syndicats et patrons en Grande-Bretagne, par F. Bédarida, E. Giuily, G. Rameix (1980).
      Il n’y a guère de production majeure sur le sujet depuis ces dernières années. Il faut dire que l’évolution des rapports de classe depuis l’arrivée de Margaret Thatcher, puis de Tony Blair, au pouvoir a, quant à elle, suscité la publication de nombreux ouvrages.
      En revanche, en anglais, les livres sont très nombreux, nous prenons le parti de vous aiguiller sur les textes rédigés en français.

  • Ben Adeb

    Dans son très beau livre, La Salle de Bal, Anna Hope raconte la vie dans un asile d’aliénés durant l’hiver 1911. Elle évoque en périphérie, un Churchill favorable à l’eugénisme pour les classes les plus défavorisées.

    • C’est tout à fait cohérent avec l’époque. Sans minorer l’importance du fait, les visions hygiénistes très en vogue à l’époque ont pu aller jusqu’à l’eugénisme. Il faut relever, d’ailleurs, que cette réalité n’était pas l’apanage de la seule droite. Churchill est bien un produit de son temps et de sa caste, pour ainsi dire.
      Nous avons aussi passé sous silence le rôle controversé de Churchill dans la famine au Bengale en 1943.

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