Brexit, le paradis – fiscal – perdu ?
Le Brexit agite, c’est bien connu, le landerneau politico-médiatique. Depuis quelques temps, une rumeur circule au sein des rédactions. La sortie du giron de l’Union européenne devrait contribuer à faire du Royaume-Uni « le plus grand paradis fiscal du monde »[1]. Il s’agit, en réalité, de la grande espérance des milieux de droite pro-Brexit outre-Manche. C’est ainsi que Dominique Raab, ex secrétaire d’État à la Sortie de l’Union européenne, déclarait dans les pages d’un grand quotidien qu’en cas de Brexit dur, les firmes multinationales se verraient octroyer de généreuses réductions d’impôt[2].
Une perspective biaisée ?
Aussi Raab promettait-il au capital transnational de bénéficier d’un impôt des sociétés de 10% à l’avenir en cas d’installation au Royaume-Uni. Cette proposition ne paraîtra mirifique qu’aux seuls électeurs conservateurs n’ayant jamais pratiqué l’optimisation fiscale. C’est qu’il existe un grand nombre de législations fiscales au sein de l’Union européenne permettant d’éluder allègrement l’impôt.
Prenons justement le cas de l’impôt sur les sociétés. Ce dernier a été baissé à plusieurs reprises au Royaume-Uni au cours de la dernière décennie. Le taux de l’impôt sur les sociétés était encore de 30% en 2008 au Royaume-Uni. Depuis, il a été abaissé régulièrement pour atteindre les 20% jusqu’avril 2017. A cette époque, le taux d’imposition des sociétés est passé à 19%. Il était d’ailleurs prévu que ce mouvement de recul ne s’arrête pas puisque l’impôt des sociétés devrait passer à 17% en 2020. Les propos de Dominique Raab se situent dans ce contexte de raffermissement de la compétitivité fiscale britannique.
Les propos de l’ancien ministre du Brexit se situent dans la lignée de la politique menée par les gouvernements de Gordon Brown, David Cameron et Theresa May (I et II). On fera cependant remarquer que les perspectives économiques liées à la possibilité d’un Brexit dur sont plutôt moroses. En cas de No Deal, le PIB britannique s’écraserait, selon un récent rapport de la Banque d’Angleterre, de 8% au cours de l’année 2019 et il faudrait, au bas mot, 6 ans pour que la production britannique retrouve le niveau de décembre 2018[3]. Face à cette perspective peu réjouissante, la droite pro-Brexit mise sur un renforcement de l’attractivité fiscale du Royaume-Uni.
Ce pari ignore superbement que l’impôt des sociétés est déjà inférieur à la limite des 10% dans certains Etats membres de l’Union européenne. Prenons le cas de Malte. Dans ce paradis fiscal, l’impôt nominal des sociétés est de 35%. Cependant, des régimes spéciaux font baisser ce taux à des niveaux bien inférieurs à celui promis par Dominique Raab. Pour trouver ces chiffres, il suffit de se documenter en ligne sur les sites de bureaux de fiscalistes maltais. Lorsque les dividendes d’une société enregistrée à Malte doivent être distribués à des non-résidents, l’impôt sur les sociétés fait l’objet de remboursements de la part des autorités maltaises de telle sorte que l’imposition réelle de la société se situe, selon les cas de figures, entre 5 et 10%. Par ailleurs, le code fiscal maltais prévoit que les sociétés holdings locales qui reçoivent des revenus grâce à une participation dans une autre société sont taxées à hauteur de 0%[4]. Nothing. Nada.
Concurrence fiscale exacerbée
En ce qui concerne le niveau de taxation réel, Malte est aujourd’hui davantage compétitive que le Royaume-Uni quand bien même ce dernier emprunterait le chemin du grand allégement fiscal prôné par la frange de droite des Brexiteers. On notera, au passage, qu’une entreprise sise à Malte fait partie du grand marché européen. Cet avantage est de taille par rapport à une localisation au Royaume-Uni qui, en cas de No Deal, aurait des relations commerciales avec l’Union européenne basées sur les seules dispositions de l’OMC. Dans ce dernier cas de figures, la liberté de circulation de marchandises et des capitaux avec l’Union européenne ne serait plus garantie aux entreprises ayant leur siège social sur le territoire britannique.
C’est tout sauf un détail. Et à y regarder d’un peu plus près, l’Union européenne a tant fait pour l’allégement de la fiscalité sur le capital, conformément à des orientations résolument néolibérales désormais bien connues, que l’on peut déjà anticiper que des mécanismes existant, pour l’heure, au Royaume-Uni seront adaptés ailleurs en Europe. On en voudra pour preuve l’existence en Belgique d’une procédure dite de ruling excess profits. Cette dernière, en vertu de la loi du 21 juin 2004 « modifiant le Code des impôts sur les revenus » permet au ministère des finances belges de considérer qu’une partie des bénéfices déclarés par une société multinationale établie en Belgique ne résulte pas d’activités économiques exercées sur le territoire belge.
En effet, les Etats ne tiennent pas compte des bénéfices enregistrés au niveau mondial par les multinationales, mais uniquement des profits réalisés par les filiales enregistrées sur son territoire. Les multinationales adoptent, dès lors, toutes sortes de stratagèmes pour enregistrer un maximum de bénéfices dans les pays où elles sont les moins taxées. Et c’est précisément ce type de comportement que la procédure belge de ruling excess profits encourage. On retiendra que la Cour de Justice de l’Union a récemment disposé que ce mécanisme, qui fait chuter l’impôt sur les sociétés bien en-deçà du taux théorique de 33,99% en vigueur en Belgique, n’est pas contraire au droit de l’Union[5]. La Belgique dispose donc de quoi attirer les multinationales sur son territoire, tout en garantissant l’accès au grand marché de l’Union européenne. Sur ce point, Dominique Raab devra revoir sa copie.
Deux dispositions d’ordre fiscal semblent encore plaider de prime abord en faveur du Royaume-Uni au jeu du moins-disant (stupide, au demeurant) fiscal. Nous allons voir, par la suite, que les apparences sont trompeuses mais chaque chose en son temps. On signalera, tout d’abord, de l’absence de taxation sur les dividendes au Royaume-Uni (contre 30% en France et en Belgique)[6].
Ensuite, le Royaume-Uni dispose d’un mécanisme d’évasion fiscale particulièrement intéressant. Il s’agit du Scottish Limited Partnership (SLP) ou partenariats à resposanbilité limitée. Le SLP est un contrat d’association entre plusieurs partenaires. « A leur création en 1907, les SLP n’avaient pourtant rien à voir avec la finance : ils servaient à conclure des contrats de fermage dans le domaine agricole. Mais les usages ont évolué »[7]. Il s’agit là d’un type de contrat courant en droit britannique. Toutefois, les partenariats conclus en Ecosse bénéficient de la personnalité juridique. Ce qui signifie qu’elles peuvent détenir un compte en banque. Quiconque aurait l’intention de dissimuler des revenus au fisc peut jouer la carte du SLP. Nous verrons par la suite que c’est déjà le cas depuis de nombreuses années. De surcroît, la protection de l’anonymat des participants au SLP peut être organisée via un service de prête-nom. Un tel mécanisme fait de l’Ecosse un authentique paradis fiscal. Cette affirmation étant lourde de sens, il incombe de démontrer par le menu détail comment fonctionne un SLP.
Dans un SLP, il y a deux catégories d’associés : les General Partners et les Limited Partners. Les premiers s’occupent de la gestion du SLP (et sont donc responsables des éventuelles dettes de ce dernier) tandis que les seconds n’interviennent pas dans la gestion du SLP mais en recueillent les bénéfices en proportion des fonds investis. Il est parfaitement loisible, et c’est ici que le dispositif des SLP rejoint la piraterie des paradis fiscaux, de faire nommer des General Partners fonctionnant comme des hommes de paille (on parle dans ce cas, de nominee partners). L’anonymat des bénéficiaires réels de ce compte est ainsi protégé. S’il prenait la fantaisie à un des bénéficiaires réels du montage d’endetter tout le SLP, il serait entièrement responsable des dettes contractées puisqu’il agirait en responsable de gestion. Par un système de lettre de démission individualisée, chacun des partenaires gardés secrets peut mettre fin à l’association après avoir empoché sa part des bénéfices selon les termes de ce que prévoit le contrat d’association[8].
Constellation de paradis fiscaux européens
L’avantage (clairement frauduleux) que procure ce type d’arrangements n’est pas mince. Un montage en SLP ne doit pas s’acquitter des impôts sur le bénéfice ni de la TVA si les transactions qu’il effectue ont lieu en dehors du Royaume-Uni et si les partenaires à l’association ne résident pas au sein du Royaume-Uni.
Donc, le droit britannique permet déjà à des structures établies au Royaume-Uni mais opérant en dehors de ce dernier de ne pas payer un cent d’impôt sur le bénéfice. Dominique Raab arrive un peu tard. Le Royaume-Uni est déjà un paradis fiscal.
Voilà pourquoi, d’ailleurs, les SLP ont déjà été pointés du doigt à de multiples reprises dans des scandales de blanchiment et de détournement de fonds. C’est ainsi qu’un milliard de dollars a été siphonné des comptes de la Banque nationale de Moldavie par des groupes maffieux ayant utilisé les merveilleuses marges de tolérance que leur offraient les SLP en Ecosse[9].
De surcroît, si l’un des partenaires au SLP est organisé en société à Chypre ou en personne physique à Malte (deux territoires membres de l’Union européenne), il ne devra payer d’impôt ni sur le dividende ni sur la fortune[10]. En tout et pour tout, il aura donc payé 0% d’impôts sur les opérations du SLP auquel il s’est associé.
De surcroît, le Portugal permet aux étrangers de bénéficier d’un régime fiscal spécifique pendant 10 ans. Ce dispositif permet de ne pas payer d’impôt du tout sur toute source de revenus provenant de l’extérieur. Là encore, un dispositif on ne peut plus légal permet d’échapper à l’impôt pendant dix ans. De quoi, en tout cas, accumuler un certain capital au fil du temps.
Il n’échappera à personne que l’ensemble de ces formules très libérales sur le plan fiscal n’ont pas pour cadre le Royaume-Uni mais des pays de l’Union européenne. Et soit dit en passant, la formule des partenariats, qui permet d’éluder l’impôt sur les sociétés, est à peu de choses près identique en Irlande et au Royaume-Uni.
Ces éléments d’information nous conduisent à décrire l’Union européenne comme une constellation de paradis fiscaux. De quoi relativiser, du même coup, la compétitivité fiscale du Royaume-Uni telle que fantasmée par la frange la plus droitière des Brexiteers…
Xavier Dupret
[1] L’Obs, édition mise en ligne du 16 septembre 2018.
[2] The Independent, édition mise en ligne le 1er octobre 2018.
[3] Bank of England, EU withdrawal scenarios and monetary and financial stability A response to the House of Commons Treasury Committee, novembre 2018, pp52-54.
[4] Anchor Corporate Services, Impôt d’une société à Malte, Url :http://www.anchor.com.mt/fr/?corporate-service=impot-societes. Date de consultation:12 février 2019.
[5] L’Echo, 14 février 2019.
[6] Test Achats, Taxation des dividendes belges et étrangers, 2 janvier 2017, Url : https://www.test-achats.be/invest/fiscalite-et-droits/taxation/dossiers/dividende-etranger, date de consultation : 11 février 2019.
[7] Les Echos, édition mise en ligne le 23 janvier 2018.
[8] Coddan CPM LTD, Scottish Limited Partnerships, Appointment of Nominee Partners, Url : https://www.coddan.co.uk/same-day-llp-formation-in-united-kingdom/how-to-form-a-scottish-limited-partnership/appointment-of-nominee-partners-for-scottish-lp/, date de consultation : 13 février 2019.
[9] The Herald, édition mise en ligne le 24 juin 2015.
[10] Dans le cas de Malte, le taux d’imposition, en vertu d’un système complexe et opaque de remboursements d’impôts, se situera entre 0 et 10%. Soit, dans le pire des cas, exactement ce que les plus droitiers des conservateurs promettent aux investisseurs étrangers. Mais, au risque de nous répéter, être résident maltais offre l’avantage de pouvoir bénéficier au sein de l’Union européenne de la liberté de circulation des capitaux garantie par l’Acte Unique européen entré en vigueur le 1er juillet 1987.