Jeremy Corbyn, un leader’s speech taille patron
Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Jeremy Corbyn a donné, avec son premier Leader’s speech lors de la conférence du parti travailliste, de quoi justifier une prise de parti. Ce discours très attendu a repris les principaux thèmes que le membre du Parlement pour Islington-North a martelé durant sa campagne en vue du leadership. Il a néanmoins surpris ceux qui s’attendaient à ce que le deuxième leader travailliste à porter la barbe mette de l’eau dans son vin.
Il a certes insisté à nouveau sur sa vision d’une politique plus douce envers les gens, qui contribue à bâtir une Grande-Bretagne plus égalitaire et moins injuste. Il a certes demandé aux militants de modérer leurs ardeurs numériques pour se montrer plus respectueux envers les autres. Une sortie qui lui a valu une standing ovation de la conférence. Il a certes renouvelé son engagement d’une construction politique plus démocratique au sein du Labour, ne donnant aucune prééminence au leader… ou au Parliamentary Labour Party (une des trois composantes organiques du parti travailliste).
Et c’est là que chacun devrait commencer à mesurer que « mister nice guy » n’est pas là pour plaisanter ni pour se faire des amis. Il a confirmé qu’il entend rendre le pouvoir aux adhérents dont la majorité penche – avec 62,000 adhésions depuis son élection – sérieusement en sa faveur, pour en dessaisir les tenors du PLP. A ces derniers, il a rappelé, d’un ton badin, presque comme une blague, qu’il dispose d’un mandat clair de 60 % des voix. Ce qui lui permet d’avancer dans le refus de l’austérité, de prendre l’engagement de construire 100.000 logements par an et de renationaliser le rail quand il occupera le 10 Downing Street. Mais ce mandat, a-t-il rappelé, il l’a aussi obtenu sur la base d’une opposition au renouvellement des missiles Trident. « Mon opinion personnelle est que les Trident ne méritent pas les 100 milliards de livres qu’ils vont coûter, le quart du budget de la défense », a gentiment martelé Jeremy Corbyn. Posant ainsi les termes du débat, il a amicalement remémoré à ses camarades du Shadow cabinet en faveur de qui pèse le rapport de forces. Les salves d’applaudissements qui ont émaillé le discours de Corbyn et la standing ovation finale ont contribué à enfoncer le clou sur ce sujet.
Une fois n’est pas coutume, « mister nice guy » avait laissé le beau rôle à son bras droit. La veille, John McDonnell avait rappelé que toutes les bonnes volontés ont leur place dans le Labour corbynite. C’est aussi au shadow chancelier de l’échiquier qu’est revenu le devoir d’apaiser la droite en indiquant que la Grande-Bretagne dirigée par les travaillistes ne vivrait pas au-dessus de ses moyens. Dans le même sens, Jeremy Corbyn a pris le temps de détailler ses préoccupations pour les « self employed » (que l’on peut rapprocher des auto-entrepreneurs), une population issue pour beaucoup de la classe ouvrière dont la part augmente avec constance.
Ainsi, le nouveau leader du Labour a pu repositionner son parti dans une opposition claire et ferme au gouvernement conservateur. Retournant l’argument de la « menace » envers la sécurité nationale utilisé à son encontre par Cameron, Corbyn a caractérisé le premier ministre comme une menace pour la sécurité de millions de Britanniques fragilisés par sa politique d’austérité. Il a également lancé : « Les Britanniques ne se sont jamais contenté de ce qu’ils ont », rappelant l’histoire des luttes politiques et sociales de ce pays. Ces coups ont flatté les militants de base. Ils remettent aussi le Labour en situation de principal opposant à Cameron et Osborne. Un rôle que le SNP de Nicola Sturgeon entendait lui disputer. Corbyn entend clairement ramener les électeurs du SNP « à la maison ».
C’est à cette aune aussi qu’il faut lire le discours de Jeremy Corbyn à Brighton. Dans une stratégie bien connue des observateurs français, le nouveau leader travailliste entend, dans un premier temps, rassembler son camp. En l’arrimant aux fondamentaux socialistes britanniques, il fait le pari qu’il pourra reconquérir les fameux 5 millions d’électeurs qui ont fuit le Labour depuis 2005. En premier lieu, il entend reprendre une place plus conforme aux traditions travaillistes en Ecosse en s’opposant au renouvellement des Trident et à l’austérité. En renouant avec un discours compassionnel, il vise l’électorat traditionnel du Labour en Angleterre. Les élections de 2016 seront le moment après lequel il décidera de s’adresser au delà de son camp.
Nathanaël Uhl