Brexit : et si Cameron devait sa survie politique à Corbyn ?
Côté tories, les masques tombent et la campagne référendaire dévoile enfin son vrai visage. Le référendum pour ou contre le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne n’est qu’un prétexte. Ce qui se joue, derrière les déchirures de la famille conservatrice, c’est bel et bien l’avenir de David Cameron comme leader du parti et comme Premier ministre. Il n’était guère difficile de le deviner mais l’aile pro Brexit du parti au pouvoir a, de manière claire, confirmé ce que nous pressentions depuis le début de la campagne. Entre autres, dimanche 29 mai, la membre du parlement tory Nadine Dorries a confié à la télévision que les jours de Cameron seront comptés si le brexit l’emporte ou si la victoire du maintien est « étroite ». Elle a fixé la marge à un score de 60% pour le maintien.
La parlementaire, bien connue pour ses coups de gueule et son opposition à Cameron, affirme en outre avoir écrit au puissant 1922 committee, qui rassemble les backbenchers tories les plus à droite, pour demander un vote de défiance envers le premier ministre. Les règles en vigueur en sein du parti conservateur stipulent qu’il faut au moins 50 membres du parlement pour déclencher un tel vote. Nadine Dorries a encore déclaré :
« Ma lettre est déjà arrivée. Si le maintien l’emporte par une large majorité – et je pense que ce doit être 60 contre 40 -, Cameron pourrait peut-être survivre. Si la majorité est plus réduite, voire s’il perd, alors il sera grillé dans les jours qui suivent. »
Fervent soutien de Boris Johnson, la membre du parlement pour le Mid-Bedsfordshire affirme que le premier ministre a accumulé les mensonges : « Il a menti de manière éhontée et ceci est particulièrement au cœur de la colère des backbenchers conservateurs. » Chaque camp se renvoie l’accusation de malhonnêteté à la figure. Le camp du Brexit est accusé d’utiliser des chiffres erronés, notamment en matière économique, pour justifier sa position. Mais les sortistes mettent en cause le premier ministre de manière systématique. Dans une lettre publiée le week-end passé, les ténors conservateurs de la sortie, Michael Gove et Boris Johnson, le rendent responsable de la désaffection des Britanniques pour la politique :
« (David Cameron) a un effet corrosif sur la confiance du public envers les politiciens parce qu’il n’a pas tenu ses promesses en matière d’immigration. »
Il est vrai que l’encore leader conservateur avait promis de réduire le nombre de migrants de manière drastique. Or, les règles en matière de libre circulation des personnes qui régissent l’Union européenne empêchent de tenir de tels engagements. Le camp du Brexit a donc fait de l’immigration la pierre angulaire de sa campagne.
Autre conservateur notoirement opposé à David Cameron, Andrew Bridgen a estimé que le premier ministre ne disposait plus de majorité à la chambre des communes. « Cameron a fait des déclarations scandaleuses pour tenter de convaincre les électeurs de voter en faveur du maintien et cela a eu pour conséquence qu’il perde sa majorité », a affirmé le backbencher conservateur avant d’annoncer :
« Le parti est clairement coupé en deux et je ne sais pas quelle personne pourrait l’unifier à nouveau pour pouvoir former un gouvernement. Je pense honnêtement que nous devrions probablement nous diriger vers des élections générales, avant Noël, pour obtenir un nouveau mandat du peuple. »
Lui aussi backbencher tory, Steve Baker a estimé que Bridgen avait vu juste à propos de l’antipathie que provoquait désormais les discours pro-européens de Cameron au sein des parlementaires conservateurs. Baker estime que seuls 30 d’entre-eux sont fermement en faveur du maintien au sein de l’union européenne et que cela posera problème au Premier ministre.
Ces propos ont, cependant été minorés par d’autres figures du camp sortiste. Ainsi, le leader de la chambre des Communes Chris Grayling a tenté de ramener chacun à la raison : « Je ne pense pas que les rebelles déclenchent une crise. Je peux vous assurer que des membres du parlement qui se sont battus il y a tout juste un an pour leurs sièges ne vont pas déclencher une nouvelle élection avant Noël. »
Plus politique, mais peut être plus adepte de la méthode Coué, le président du 1922-Committee, Graham Brady, a jugé que la sortie de Bridgen n’était pas « opportune », précisant que le parti conservateur devrait se rassembler après le 23 juin. Un langage de raison motivé, aussi, par l’enquête sur les dépenses de campagne du parti tory lors des dernières élections générales.
Plus d’une douzaine de forces de police mènent des investigations concernant des dépassements d’autorisation de dépenses. A l’heure où ces lignes sont écrites, ce sont pas moins de quatre membres du parlement dont l’élection pourraient être invalidées. Or, David Cameron ne dispose que d’une courte majorité de 16 sièges.
Il n’empêche que l’escalade verbale à laquelle se livrent les deux camps conservateurs laissera des traces. Les déclarations d’amitié entre Cameron d’un côté et Boris Johnson ainsi que Michael Gove de l’autre sont désormais bien oubliées. Malgré les appels à la raison, il est peu probable que la guerre civile conservatrice se termine par une paix des braves.
Étonnamment, c’est peut être au Labour que Cameron devra sa survie immédiate après le 23 juin. L’entrée en campagne du parti travailliste coïncide clairement avec une nouvelle dynamique en faveur du maintien dans les sondages. Aussi inaudibles soient-ils dans les médias, passionnés par la guerre fratricide qui déchire le parti conservateur, les travaillistes ont décidé d’opter pour une campagne de terrain qui allie défense de l’Union européenne, comme garantie des droits des travailleurs britanniques, et critique claire de la politique conservatrice. Il semble que ce discours articulé commence à porter ses fruits.
Nathanaël Uhl
Bonus vidéo : Banks & Steelz « Love + War » (feat. Ghostface Killah)