Labour leadership : Corbyn approfondit le rapport des forces en sa faveur à la base du parti

Dans un climat plus que délétère, le rapport des forces pour le Labour leadership fige les lignes de fracture. Le parti travailliste a clos, lundi 15 août, la période des nominations. Jeremy Corbyn, ultra-minoritaire au sein du Parliamentary Labour Party (PLP, le groupe parlementaire et l’une des trois composantes organiques du parti), peut mesurer le soutien dont il dispose parmi les adhérents de base. Parmi ceux qui se sont prononcés, le leader sortant enregistre 84% des nominations des Constituency Labour parties (CLP, organisations travaillistes de base) et s’assure le soutien de la majorité des syndicats. Owen Smith, son challenger, devra donc batailler ferme pour combler son retard. Signe de la tension qui monte, les accusations d’intimidation fleurissent dans les deux camps et le ton est monté au plus haut niveau.

Alors qu’il était resté discret jusqu’alors, Tom Watson, deputy leader élu, est sorti de sa réserve. Mal lui en a pris tant ses propos ont mis de l’huile sur le feu. Il a accusé l’extrême-gauche trotskiste d’entrisme au profit de Corbyn et a estimé que les militants trotskistes « tordent le bras » aux jeunes adhérents. Corbyn a moqué la sortie de son adjoint, la qualifiant de « non-sens » et soulignant qu’il ne peut pas y avoir 300,000 trotskistes en Grande-Bretagne. Sur les réseaux sociaux, où les échanges prennent une tournure de plus en plus aigre, les Corbynites ont moqué une accusation qui invalide celle d’antisémitisme, rappelant que Trotsky était lui-même juif.

Michael Foster dénonce les troupes d'assaut nazies de CorbynLa question de l’antisémitisme est en effet revenue en force dans la semaine qui précède l’envoi des bulletins de vote aux membres du parti travailliste. Selon une estimation, 94% des adhérents du Labour de confession juive voteraient pour Owen Smith. Michael Foster, riche donateur du Labour et lui-même de confession juive, a qualifié les proches de Corbyn de « nazi storm troopers », dans une allusion directe aux Sturm Abteilung (SA, dont la traduction en anglais est… storm troopers) de sinistre mémoire. Michael Foster est celui qui avait déféré devant la justice la décision du National Executive Committee (NEC, organe de régulation du parti travailliste) de mettre automatiquement le nom de Jeremy Corbyn sur le bulletin de vote, eut égard à son statut de leader en poste. Foster a été débouté de sa demande.

Hormis la sortie de Tom Watson sur l’entrisme trotskiste, les cadors de l’aile droite travailliste se tiennent sur une réserve prudente. Ni Tristram Hunt ni Chuka Umunna, parmi les plus en vue des espoirs blairites, ni même Yvette Cooper n’ont, jusqu’alors, pris part à la bataille qui fait rage autour du leadership travailliste. Le gallois Owen Smith se retrouve bien seul face aux Corbynites, dont l’organisation Momentum semble se professionnaliser. Elle prend de plus en plus l’air d’un « Progress de gauche ». Progress, considéré par beaucoup comme un parti dans le parti travailliste, est le think tank des blairites, qui forme et finance les futurs cadres du parti.

MomentumMomentum, avec bien moins de moyens financiers, se met en lumière par sa capacité de mobilisation, que ce soit sur les réseaux ou sur le terrain. L’organisation, qui rassemble dans et hors le Labour, devra pourtant franchir un cap en mettant l’accent sur la formation des militants, y compris à haut niveau. Ce sera particulièrement nécessaire si, comme la rumeur le dit, les proches de Corbyn lancent le processus de deselection obligatoire des membres du parlement. Ceux qui sont en poste devraient, si la gauche du Labour va au bout de cette menace, se représenter aux suffrages des adhérents. Corbyn, lui-même, n’a pas écarté la possibilité de passer aux actes, en se camouflant derrière le redécoupage électoral sur lequel les tories planchent. Le nombre de constituencies étant amené à diminuer, le leader peut tranquillement évoquer la nécessité de désigner tous les candidats aux prochaines élections générales.

Au vu du rapport des forces à la base, il joue sur du velours. Alors que les nominations par les CLPs ont été closes lundi 15 août, Corbyn obtient le soutien de 285 d’entre eux (152 il y a un an) contre 53 à son rival Owen Smith, soit 84% des nominations. Rapporté à l’ensemble des 387 CLPs, incluant ceux qui se sont déclarés neutres et ceux qui ne se sont pas réunis, le soutien à Corbyn passe à 66%. Côté syndicats, Owen Smith a obtenu le soutien de quatre unions dont GMB, laquelle a procédé à un scrutin parmi ses membres. Corbyn a fait encore carton plein avec le soutien de Unite et Unison, les deux plus importants syndicats du Roayume-Uni.

Owen Smith à la traineMais ces masses doivent être relativisées au regard des détails. Marqués par une faible participation, qui s’explique aussi par l’interdiction de certaines réunions, les scrutins tenus dans les CLPs donnent, à l’échelle nationale, 15,000 votes en faveur de Corbyn contre 7,500 pour Smith. Mais si l’on prend en compte les votes organisés au sein de Unison et GMB, l’écart est finalement plus réduit : Corbyn enregistre 43,000 voix contre 41,000 à Owen Smith… Unite, de son côté, n’a pas mis en place de scrutin parmi ses adhérents. Le vote décisionnaire au sein des adhérents du Labour sera probablement plus serré que l’an passé même si Corbyn a peu de chances d’être battu.

Ces expressions intermédiaires permettent, par contre, de mesurer que le fossé entre pro-Corbyn et anti-Corbyn s’agrandit de jour en jour. De même, la fracture entre les adhérents de base organisés au sein de leurs CLPs et le PLP semble de plus en plus ouverte. Corbyn en profite pour continuer à mener la mutation du Labour, d’un parti classique tout entier tourné vers l’action parlementaire, en un mouvement nouveau, à mi-chemin entre le mouvement social et l’action politique.

Nathanaël Uhl

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