Labour party : Corbyn gauchit son troisième shadow cabinet et froisse de nouveau ses parlementaires
L’arrogance est, souvent, la faiblesse des vainqueurs. L’avenir dira si Jeremy Corbyn a fait preuve de trop d’arrogance à l’occasion du deuxième reshuffle de son shadow cabinet. Dimanche 9 octobre, il a annoncé une nouvelle vague de nominations marquée par le retour de dix membres démissionnaires du cabinet fantôme. Un sérieux coup de pouce pour le leader réélu du parti travailliste. Mais ces retours, pour certains piteux, ne doivent pas faire oublier que Corbyn a été très maladroit sur l’exercice. Et les symboles avec lesquels il a joués sont lourds pour son avenir.
Comme à son habitude, Corbyn a pris tout le monde de court en lançant le remaniement de son shadow cabinet. La chief whip, Rosie Winterton, et le président du parliamentary Labour, John Cryer, menaient depuis quelques jours des discussions avec l’équipe du leader travailliste sur la composition du cabinet fantôme. Parmi lesquelles, la possibilité pour les membres du parlement d’élire une partie des membres de ce « contre-gouvernement ». C’est alors que, sans crier gare, Corbyn a commencé son reshuffle… en écartant, par téléphone, Rosie Winterton. Elle a été remplacée à ce poste stratégique par un ancien chief whip, réputé proche de Gordon Brown, Nick Brown.
Dans la foulée, Corbyn a installé ses proches aux principaux postes clés. Diane Abbott, remuante figure de l’aile gauche, remplace Andy Burnham comme shadow Home secretary. L’Intérieur est un des postes les plus sensibles. Outre une alliée sûre, Corbyn ne se trompe pas en plaçant Abbott à ce poste. Alors que Theresa May a choisi une ligne dure sur l’immigration ; Abbott partage le même crédo libéral que Corbyn sur le sujet alors que l’aile droite du parti propose de renouer avec les contrôles en la matière.
Autre avantage de la nomination d’Abbott : deux des trois principaux postes du shadow cabinet sont désormais occupés par des femmes, puisqu’Emily Thornberry garde le portefeuille des affaires étrangères et John McDonnell celui de Shadow Chancelier de l’Echiquier. Les accusations de sexisme ne sont désormais plus de mise pour une équipe qui comprend 16 femmes et 14 hommes pour les rôles principaux. Enfin, et ce n’est pas rien, Abbott donne à voir une diversité largement renforcée au sein du shadow cabinet, qui comprend désormais six représentants des minorités ethniques. Parmi ceux-ci figure Shami Chakrabarti, ancienne dirigeante de la commission indépendante sur l’antisémitisme au sein du parti travailliste.
Le frontbench du Labour est marqué par le retour de six des démissionnaires de juin 2016, quand l’éviction de Hilary Benn avait entraîné une vague de départs. Parmi les revenants, Keir Starmer prend le poste très sensible de shadow secretary for Brexit. C’est un des ralliements les plus impressionnants que Corbyn puisse s’adjuger. Le retour de Jonathan Reynolds, en tant que Shadow Economic Secretary au Trésor donc sous la responsabilité de John McDonnell, est un autre bon coup. Reynolds avait démissionné après le limogeage de Pat MacFadden en janvier 2016.
Ancien ministre sous Blair et Brown, un des rares à disposer d’une expérience gouvernementale, John Healey, qui avait quitté le frontbench en juin 2016, reprend ses fonctions au logement. Il avait pourtant joué un rôle majeur dans les départs concertés à l’époque, départs qui avaient débouché sur le challenge de Corbyn par Owen Smith. A son image, dimanche soir, dix autres démissionnaires de juin ont réintégré le shadow cabinet, actant de la position de force dans laquelle le leader du Labour se trouve après sa réélection le 24 septembre 2016.
Pourtant, deux démissions sont venues assombrir ce ciel présenté comme serein. Deux membres du parlement ont quitté le bureau des whips, celui chargé de la discipline de vote, en réaction après l’éviction brutale de Rosie Winterton. Or, son successeur, Nick Brown, a exigé de conserver toute l’équipe de Winterton avant d’accepter le poste.
Par ailleurs, la gauche du parti travailliste renforce bien son emprise dans le parti. Tous les proches de Corbyn conservent leurs postes respectifs. A l’exception de Clive Lewis, qui bascule de la défense aux entreprises. Le membre du parlement pour Norwich-South, présenté comme le meilleur espoir de la gauche pour succéder à Corbyn, paie cash son refus de se distancier du renouvellement du parc nucléaire Trident lors de la conférence annuelle du parti.
Il a néanmoins pris sa mutation avec philosophie, se réjouissant de pouvoir « contribuer à bâtir le socialisme du 21e siècle ».
Surtout, Corbyn a promu Jonathan Ashworth de membre du shadow cabinet sans portefeuille à celui de shadow secretary à la Santé. En échange, l’ancien bras droit de Gordon Brown a accepté de laisser sa place au National Executive Committee (NEC, organe de régulation du parti travailliste) à Kate Osamor, une des proches de Corbyn. Ce dernier reprend son la majorité au sein du NEC avant que ne commencent les délicates négociations sur « la démocratisation du Labour », donc son évolution structurelle vers une nouvelle forme politique à mi-chemin entre le parti et le mouvement social. Il va sans dire que la nomination surprise de Kate Osamor a fait grincer quelques dents.
Mais plus grave est l’attitude un brin condescendante de Corbyn lui-même dans cette période. D’abord, il a, une nouvelle fois, annoncé les départs par téléphone, ce qui ne contribue pas à donner de lui une image de courage. Ensuite, en plein remaniement, il a préféré quitter Londres pour aller prendre la parole dans une réunion publique contre le racisme. Ce ne serait pas grave si ce meeting n’était pas organisé par Standing Up Against Racisme (Debout contre le racisme), considéré comme une officine du Socialist Workers Party, une organisation trotskiste que les opposants à Corbyn accusent de pratiquer l’entrisme au sein du Labour.
Nathanaël Uhl