Face à une Theresa May déboussolée, les travaillistes prennent les commandes du débat politique
C’est un double mouvement qui s’opère entre les Prime Minister Questions (PMQs – questions au premier ministre) mercredi 28 juin et les échanges sur le Queen’s speech qui se poursuivent aujourd’hui. Sous la direction d’un Jeremy Corbyn dopé par ses bons résultats électoraux, les travaillistes se comportent de plus en plus comme « a government in waiting » (« un gouvernement en attente ») tandis que les conservateurs accumulent crises internes et changements de position.
Les observateurs de la politique britannique ont salué un changement de rôle inattendu, pendant la séance de PMQs. Alors que le leader du Labour pressait Theresa May sur les raisons et conséquences du drame de Grenfell Tower, qui a coûté la vie à 79 personnes, la leader conservatrice s’est mise dans le rôle de l’opposante, faisant de son adversaire travailliste le premier ministre de fait.
Secouée sur la question des réglements de sécurité anti-incendie, dont elle venait d’affirmer qu’ils n’étaient pas en cause, Theresa May a fait un pas de côté pour interroger Corbyn :
« La question reste pourquoi, dans chaque autorité locale, les matériaux utilisés pour la construction de ces tours ne semblent pas obéir aux réglementations ? Et pourquoi les autorités de contrôle et de sécurité passent à côté de ce problème majeur ? »
Cette intervention est du registre de celles qu’effectue Corbyn depuis près de deux ans. Mais le leader travailliste, bien que surpris par le changement de posture de son opposante, ne s’est pas laissé démonter. Il a saisi la perche tendue pour mettre en lumière les conséquences de la politique d’austérité menée par les conservateurs.
« La raison pour laquelle personne ne se préoccupe d’appliquer les réglementations demeure les coupes budgétaires effectuées dans les budgets des councils et autorités locales », a-t-il lancé.
Cet échange a été le moment clé qui a vu Theresa May vaciller de plus en plus. Malgré les encouragements rageurs de ses backbanchers, la première ministre a perdu pied et ses réponses ultérieures se sont montrées de plus en plus confuses. Il faut dire que, derrière, une autre crise bien plus grave pour l’avenir de la locataire de Downing Street se jouait en coulisses. Toujours sur les questions de l’austérité.
A l’origine de cette crise, la nouvelle posture du Labour. Fort de ses 32 membres du parlement élus et de l’absence de majorité pour les tories, Corbyn a décidé de quitter le champ de la seule protestation. Il a déposé un certain nombre d’amendements au Queen’s speech, qui reprennent les points clés du manifesto travailliste. Le premier test a eu lieu mercredi 28 juin sur la question du salaire des infirmières, enseignants et, plus généralement, les agents du secteur public.
Depuis l’arrivée des conservateurs au pouvoir, la hausse de leur salaire est bloquée à un pour cent par an. Avec l’inflation, le tabloid de centre gauche The Mirror estime la perte de pouvoir d’achat pour ces travailleurs à 3,000 livres par an. Le Labour a donc proposé de faire sauter ce blocage des salaires et a tenté d’amender le Queen’s speech en ce sens, sachant que ce qui en est voté à la fin doit être traduit en actes dans la législation.
Dans un premier temps, il a semblé que le 10 Downing Street envisage d’un œil favorable un assouplissement sur la question. Une position qui aurait eu le mérite d’être en cohérence avec le blue collar toryism officiellement cher à Theresa May. Les échos ont paru suffisamment sérieux pour que la responsable du Royal College of Nursing, l’association professionnelle des infirmières, considère comme quasiment acquis une revalorisation salariale.
Mais, dans l’après-midi, c’est un nouveau virage à 180 degrés qu’a dû opérer Theresa May. Comble de l’humiliation, c’est son chancelier de l’Echiquier, Philip Hammond, qui a annoncé que le blocage serait maintenu. Soumis au vote, l’amendement travailliste a été repoussé par 323 voix contre 309. Le Democratic unionist party (DUP) a bien joué son rôle de supplétif de la minorité conservatrice.
C’est bien Hammond, qui se positionne comme le premier opposant à May, qui a fait capoter l’assouplissement envisagé par la première ministre. A l’annonce d’une ouverture sur la question des salaires, il aurait explosé de rage, rapporte la presse britannique. Fort du soutien dont il dispose parmi l’aile libérale du parti conservateur, le chancelier de l’Echiquier a pu pousser sa « patronne » à se dédire. Une fois de plus.
Ce jeudi, pour autant, le parti travailliste va pousser ses pions en introduisant de nouveaux amendements sur les questions économiques et sur le Brexit. Theresa May n’aura pas à subir un nouvel affront à la chambre des Communes. C’est Hammond qui sera à la manœuvre pour le gouvernement, elle partant pour le sommet des leaders à Berlin.