Brexit : état des lieux à 18 mois de la date butoir

Dernier sondage YouGov pour le quotidien Times, réalisé les 10 et 11 octobre 2017 sur un échantillon de 1,680 personnes :

  • CON 39 (-1)
  • LAB 42 (=)
  • LD 8 (+1)
  • UKIP 4 (=)
  • GRN 2 (=)
  • SNP 3 (=)

L’échéance se rapproche, inexorablement. Le 29 mars 2019, le Royaume-Uni touchera à la date limite de la négociation du Brexit. Aujourd’hui, trois hypothèses sont en présence.

  • La moins probable : les deux parties s’accordent un délai de deux ans pour boucler les négociations. Cela nécessite l’accord de l’unanimité des pays membres.
  • La deuxième : le pays sort pour de bon, après un vote au Parlement européen et du Conseil de l’Europe.
  • La troisième prend de la consistance alors que les négociations piétinent, c’est la sortie sans accord.

Alors qu’un climat délétère règne sur le paysage politique, la saison des conferences (les congrès annuels qui ont tous lieu à la rentrée) vient de se terminer. Le tour d’horizon des partis est pour le moins éclairant.

Les conservateurs en plein chaos

Les conservateurs se trouvent affaiblis et ne disposent, depuis les élections anticipées de juin dernier, que d’une majorité relative. Le parti au pouvoir est à la merci du DUP (Democratic unionist party, les unionistes nord-irlandais). Et le DUP ne manque pas de rappeler combien il est essentiel aux tories en votant… avec les travaillistes. Cette semaine, ses 10 élus devraient, « en fonction de (leur) manifesto aux élections », voter contre la proposition conservatrice sur les pensions des femmes versées par l’Etat. Malgré ce deuxième accroc au contrat d’un milliard et demi de livres, la prremière ministre Theresa May tente, non sans mal, de s’accrocher au pouvoir.

Sous la houlette de ne trentaine de parlementaires ont signé une motion de défiance envers la locataire du 10 Downing Street. Ils l’appellent à démissionner. C’est un avertissement sans frais. Il faut en effet 48 membres du parlement pour déclencher un nouveau processus de désignation du leader conservateur.

Theresa May a tenté de montrer ses muscles lors de la conférence du parti conservateur. Elle n’a cessé d’affirmer que l’ensemble du gouvernement est derrière elle. Une déclaration qui ne résisterait pas plus longtemps qu’il ne faut pour dresser la liste des membres du cabinet qui veulent son départ.

De fait, pour une grande partie des tories, le problème n’est pas le départ de May. Il est acté. La question clé reste l’échéance, qui suppose que la succession soit réglée. Ce qui est le vrai problème des conservateurs.

Boris Johnson ne veut pas sortir du bois sans avoir la garantie de ne pas se retrouver, une nouvelle fois, planté par ses pairs. L’encore Foreign secretary (secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères) est conscient de ne pas faire l’unanimité parmi le parti parlementaire. Du coup, il occupe le terrain et ne cesse de démontrer sa popularité parmi les militants du parti. Ces derniers se montrent amateurs de ses provocations et formules approximatives.

Le chancelier de l’Echiquier, Philipp Hammond, ne se fait aucune illusion. Les élus partisans du Brexit ne veulent pas le voir au 10 Downing Street. Le numéro 2 du gouvernement a été encore récemment accusé d’oeuvrer au maintien à tout prix du Royaume-Uni dans l’Union Européenne. La troisième concurrente possible, Amber Rudd, Home secretary (la ministre de l’Intérieur) joue la carte de a légitimité et appelle à serrer les rang autour de Theresa May.

Bon nombre d’élus conservateurs cherchent la solution miracle en espérant voir un jeune qui ferait l’unanimité. Las, le Brexit s’avère un véritable poison qui laisse les tories profondément divisés au point de laisser l’impression que le gouvernement navigue à vue sur ce dossier.

D’ailleurs le discours désastreux de Theresa May, interrompu par un comédien qui lui a remis symboliquement un formulaire P45 (une lettre de licenciement), illustre ce désarroi. Alors qu’elle affirmait, avant les vacances, vouloir absolument un accord avec l’Union Européenne, elle change encore d’avis et prétend s’accommoder d’un hard Brexit. Cette sortie brutale suscite bien des inquiétudes.

Jours heureux pour Corbyn au Labour

Au Labour, après la conférence de Brighton, la ligne politique générale est claire. Le Labour est le gouvernement en attente et mène campagne en vue des prochaines élections générales. Peu importe que les prochaines échéances ne doivent pas avoir lieu avant quelques années. Jeremy Corbyn et ses proches ont renforcé leurs positions dans l’appareil du parti. L’aile droite semble incapable de trouver son point faible et, encore moins, un candidat alternatif crédible. Après deux précédents exercices très disputés, Corbyn a pu profiter du calme de cette conférence organisée à Brighton.

Le membre du parlement pour Islington-North peut donc savourer les sondages, qui placent régulièrement les travaillistes en tête. Les élections partielles, qui se succèdent depuis le scrutin général du mois de juin, inversent enfin la tendance localement. Les travaillistes prennent le dessus sur des conservateurs jusque dans des circonscriptions réputées jusqu’alors imprenables.

Les nationalistes gallois et écossais fébriles

Conséquence de ce regain de vitalité, les travaillistes sont redevenus la cible privilégiée des partis nationalistes. Au Pays-de-Galles, Plaid Cymru fait feu de tout bois pour dénoncer un Labour qui ne ferait que dupliquer localement la politique d’austérité décidée à Westminster.

En Ecosse, le Scottish national party (SNP) se montre nerveux face à un Scottish Labour offensif sur le bilan de Nicola Sturgeon. Les nationalistes au pouvoir au parlement régional ont perdu des positions lors des élections générales, tandis que le Labour a repris des couleurs. Les élus positionnés à gauche au sein du SNP s’en prennent méthodiquement à Jeremy Corbyn. Selon eux, ce dernier ne ferait pas mieux que les conservateurs au pouvoir. Et de conclure que la seule solution viable c’est un référendum permettant l’indépendance pour quitter un royaume ressemblant à un navire en perdition.

Cherche Lib-Dems désespérément

Depuis l’élection en 2015 du « gauchiste » Corbyn à la tête du Labour, les Libéraux-Démocrates ont espéré revenir au premier plan. Les élections générales de juin ont été cruelles. Les « jaunes » restent marginalisés. Leur principal axe de campagne : incarner le maintien du Royaume-Uni dans l’Europe, n’a pas suscité l’engouement de l’électorat.

Certes, les Lib-Dems ont enregistré quelques succès lors des élections partielles entre 2015 et juin 2017. Mais, depuis le scrutin anticipé de juin, la tendance ne s’est pas confirmée. A croire que la bipolarisation traditionnelle de la vie politique britannique a repris ses droits et que, par la force des choses, face aux tories, le vote utile va aux travaillistes. Après la démission de Tim Farron, c’est le dinosaure Vince Cable, artisan de la privatisation de Royal Mail sous l’égide de  David Cameron, qui a pris le relais.

UKIP en voie de disparition

Du côté droit de l’échiquier, UKIP change une nouvelle fois de leader, mais cela ne règle pas la question de sa quasi disparition électorale. Présenté comme le grand gagnant du Brexit, le parti europhobe a obtenu moins de 2%, passant de 4 millions à 600,000 voix, lors des dernières élections générales. L’état d’esprit est à la frustration. Les dirigeants de UKIP ont l’impression que les tories ont volé leur programme et leurs suffrages.

Le parti en est réduit à attendre une faute majeure des conservateurs en espérant que cela mettra fin à l’hémorragie électorale. Henry Bolton a pris le leadership de la formation avec 29.9% des suffrages exprimés soit 3,874 votes. Ce leadership a mobilisé 15,000 adhérents sur les 28,000 revendiqués. Inconnu du grand public, au profil conservateur, cet ancien militaire aura bien du mal à faire oublier Nigel Farage. Lequel continue de brouiller les cartes en apparaissant à la télévision et en multipliant les prises de position publiques.

Brexit : l’Europe se rapproche du Labour

Pas étonnant, dans un tel contexte, que des émissaires de l’Union Européenne ont entamé des approches pas très discrètes vis à vis du Labour. Bruxelles cherche à s’assurer, auprès de Jeremy Corbyn, qu’il honorera les engagements pris par le gouvernement conservateur s’il accède au pouvoir.

Le négociateur officiel britannique, le tory David Davis fait mine de rien voir. Contre toutes les évidences, il continue d’affirmer que les négociations se déroulent bien et enregistrent de nombreux progrès. De son côté, l’Union Européenne se dit préoccupée et le shadow secretary au Brexit, le travailliste Keir Starmer, estime pour sa part que les tories ont gaché des mois de négociations et qu’ils devraient reconnaître la « gravité de la situation ».

Les résidents européens tranchent

Entre avril 2016 et mars 2017, quelque 122,000 citoyens européens installés au Royaume-Uni ont quitté le pays, selon les données publiées par l’Office national des statistiques britannique (ONS). L’Association médicale britannique, qui compte 5% de médecins étrangers, a révélé à la fin du mois de février 2017 que 42% des docteurs européens pensent à quitter le Royaume-Uni une fois le Brexit effectif.

Silvère Chabot

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