Brexit : le conseil européen gèle les négociations et lance un ultimatum sur la question irlandaise

C’EST UN COUP DE FROID SUR LES NEGOCIATIONS ENTRE L’EUROPE ET LE ROYAUME-UNI. De passage à Dublin, jeudi 8 mars, le président du Conseil européen Donald Tusk a annoncé le gel des discussions entre les deux parties, tant qu’une solution réaliste ne sera pas apportée à la question de la frontière entre la République d’Irlande et les six comtés de l’Ulster. Les négociateurs des deux parties en présence devaient s’attaquer aux relations commerciales après le sommet du conseil européen qui aura lieu fin mars. Elles devront attendre car c’est bien un ultimatum que Donald Tusk a lancé à Theresa May, en déclarant : « L’Irlande d’abord ».

« Si, à Londres, des gens s’imaginent que les négociations pourraient porter sur d’autres sujets avant la question de la frontière irlandaise, ma réponse est : l’Irlande d’abord », a tranché celui qui définit la stratégie des 27 sur le Brexit.

En décembre 2017, Theresa May s’est engagée à ce qu’il n’y ait pas de frontière physique entre la République d’Irlande et les six comtés de l’Ulster. L’établissement d’une telle barrière contreviendrait en effet aux accords du Vendredi saint qui ont mis fin à trente ans de guerre civile entre nationalistes et unionistes en Irlande du Nord, un conflit qui occasionné 3,000 morts. Par ailleurs, l’Irlande du Nord a voté pour le maintien dans l’Union européenne, notamment par souci de maintenir des liens étroits avec la partie sud de l’île.

Or, le gouvernement britannique affirme aujourd’hui sa volonté de quitter le marché unique et l’union douanière avec l’Union européenne. Au nom du maintien de l’unité du Royaume-Uni, il refuse également que la frontière avec la république irlandaise, et donc avec l’Europe des 27, soit positionnée en mer d’Irlande. Cette position relève aussi d’une concession aux unionistes du Democratic unionist party (DUP) qui, avec ses dix membres du parlement à Westminster, garantit une majorité au gouvernement conservateur.

Les dernières déclarations de Theresa May constituent cependant un net recul par rapport aux engagements qu’elle a pris en décembre dernier. A cette époque, la première ministre avait accepté deux solutions alternatives : soit le maintien d’un alignement réglementaire avec l’Union européenne soit un accord commercial global. L’une comme l’autre de ces perspectives permet d’éviter le rétablissement d’une frontière en dur entre les deux composantes de l’île à l’image de ce qui prévalait dans les années 80.

Pour compliquer encore un peu plus la situation, le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères et partisan d’un Brexit dur Boris Johnson a depuis suggéré que la mise en place d’une frontière physique ne devait pas être écartée. Il a minimisé l’impact de cette perspective en affirmant qu’elle n’aurait pas de conséquences sur les échanges commerciaux entre l’Irlande et le Royaume-Uni.

En revanche, Boris Johnson ne s’est pas prononcé sur le symbole politique que représente une frontière physique entre les six comtés de l’Ulster et la République d’Irlande. Quand les accords du Vendredi saint ont été signés, le 10 avril 1998, le Royaume-Uni et la République irlandaise étaient toutes deux membres de l’Union européenne. De fait, les relations entre le nord et le sud étaient régies par la libre circulation des biens et des personnes, donnant l’apparence d’une unité géographique à défaut d’une véritable unité politique, laquelle reste toujours l’objectif des nationalistes du Sinn Féin.

Donald Tusk n’ignore rien de cela puisqu’il a placé la position de fermeté de l’Europe des 27 sous les auspices des accords du vendredi saint.

« Nous devons reconnaître la décision prise démocratiquement en 2016 par la Grande-Bretagne de quitter l’Union européenne, a déclaré le président du conseil européen. De la même manière que nous devons reconnaître les décisions prises, de manière démocratiques, sur l’île d’Irlande en 1998. »

La signature des accords a été approuvée par une majorité des Irlandais lors d’un référendum : 74 % de « oui » en Irlande du Nord et 94 % en République d’Irlande.

Donald Tusk conforte aussi la position du premier ministre de la République d’Irlande. Il a déjà reconnu que ce pays dispose d’un « veto » sur la question du Brexit. Donald Tusk a assuré que cette position est bien celle de tous les chefs de gouvernement des 27 états membres de l’Union européenne. Dans le cadre des accords du Vendredi Saint, la République d’Irlande a abandonné sa revendication territoriale sur l’Irlande du Nord (qui était inscrite dans la constitution depuis le 29 décembre 1937). En échange, elle a obtenu l’interdépendance des institutions politiques des deux parties de l’île et le statut de garant des accords.

La décision unilatérale du conseil européen de geler les négociations s’inscrit dans une période où l’Europe des 27 tend les relations avec la Grande-Bretagne. Mercredi, elle a fait connaître ses orientations quant au futur traité commercial qui régira les relations entre les deux parties après le Brexit. Au-delà de la posture, il apparaît pourtant qu’un accord serait possible si la question de la frontière irlandaise trouvait une solution acceptable par tout le monde.

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