Les tories imposent leurs règles aux syndicats malgré l’opposition de la gauche

Le gouvernement de David Cameron a officialisé sa déclaration de guerre au mouvement syndical. Lundi 14 septembre, tard dans la soirée, la nouvelle loi sur les syndicats a été adoptée par 317 voic contre 284. Ce Trade Unions bill accroît la participation nécessaire lors du vote préalable à toute grève et autorise, notamment, les employeurs à recourir à du personnel intérimaire pour remplacer les grévistes. Le Business Secretary (ministre de l’Industrie), Sajid Javid, a eu beau expliquer que cette loi « n’est pas une déclaration de guerre » aux syndicats, elle rappelle les limitations imposées aux organisations du monde du travail britannique par le gouvernement de Margaret Thatcher dans les années 80.

Les points clés du projet, qui doit à présent passer en commission puis devant la Chambre des Lords, prévoient un durcissement « draconien », selon les mots de la travailliste Angela Eagle, shadow business secretary. En effet, le gouvernement exige désormais un taux de participation minimum de 50 % dans des scrutins préalables à la grève. Dans le secteur public, pour être légale, la grève doit aussi obtenir le soutien d’au moins 40 % des salariés ayant le droit de voter. Dans le système actuel, la majorité des votants est suffisante, quelle que soit la participation, pour déclencher la grève. Le préavis de grève sera porté de sept à quatorze jours. Le recours aux intérimaires pour remplacer les grévistes, auparavant interdit, sera désormais possible. Des amendes pouvant aller jusqu’à 20,000 livres seront imposées aux syndicats si les piquets de grève ne portent pas un brassard officiel. Ces derniers devront par ailleurs se déclarer à la police. D’autres mesures visent à restreindre la liberté d’expression des syndicats y compris sur les réseaux sociaux. Enfin, le financement du Labour party par les syndicats est également dans le collimateur des tories.

Les piquets de grève dans le colimateurL’assaut des conservateurs sur les syndicats constitue une offensive préventive, dont le but inavoué est de museler toute résistance à sa politique d’austérité. En effet, malgré des grèves contre la privatisation de la Poste britannique, à la National Gallery ou plus récemment dans le métro londonien, le climat social apparaît plutôt calme ces dernières années. Le nombre de jour de grève a diminué de 90 % en 30 ans. La grande grève des mineurs en 1984-1985, et son échec, ont considérablement affaibli le mouvement syndical, malgré ses plus de 6 millions d’adhérents au Royaume-Uni. Grahame Morris, membre du parlement travailliste pour Easington, a eu donc beau jeu de rappeler que « le stress au travail génère 20 fois plus de journées perdues chaque année que la grève ».

« Soif de sang »

Les MPs du Labour se sont succédés au micro alors que Jeremy Corbyn et son nouveau shadow cabinet siégeaient sur les frontbenches. Angela Eagle a dénoncé la « soif de sang » du gouvernement à l’encontre des trade unions, « alors que le gouvernement devrait plutôt travailler avec les syndicats, dans un partenariat social, pour améliorer l’efficacité économique et la compétitivité ». Le Labour mène une campagne active pour rappeler que la plupart des avancées sociales sont dues à l’action des syndicats. Il a également lancé une pétition contre le trade unions bill, qui a recueilli, ce 15 septembre à midi, près de 300,000 signatures. Par ailleurs, les enquêtes d’opinion convergent : 77 % de la population du Royaume-Uni considère que les syndicats « ont un rôle essentiel pour protéger les droits des travailleurs », contre 14 % qui pensent le contraire. Une appréciation globalement stable depuis les années 1970.

Caroline Lucas lors d'une action pour soutenir le NHSSeule élue écologiste de la House of Commons, la Green Caroline Lucas a relevé « l’hypocrisie » du gouvernement. « Le trade unions bill constitue un assaut sauvage et vindicatif sur les droits des salariés britanniques, une attaque contre le cœur de protections inscrites dans les conventions internationales. Pour un gouvernement élu par seulement 24 % des électeurs, imposer un vote à 40 % comme seuil pour déclencher des grèves dans le secteur public relève de l’hypocrisie », a martelé la MP pour Brighton. Elle a assuré que, si la loi devait être adoptée, elle rejoindrait les syndicats dans un mouvement de désobéissance civile.

Les MPs conservateurs ont tenté de contre-attaquer en pressant leurs homologues travaillistes de révéler s’ils étaient financés par les unions. La tentative s’est retournée contre ses initiateurs : la plupart des ténors travaillistes se sont succédés au micro pour dire leur fierté de bénéficier du soutien financier des syndicats plutôt que des grandes entreprises. Même le blairiste Tristram Hunt, membre du parlement pour Stoke-on-Trent central, a déclaré qu’il était « fier de travailler » avec les syndicats de sa région pour « contrer la Trade Unions bill ». Pourtant, les blairistes ont mené récemment une campagne pour briser le lien entre Labour et syndicats.

« Des mesures qui rappellent Franco »

Mais la montée au feu des parlementaires tories a été mise en porte à faux par le président de la chambre des Communes. Quelques heures plus tôt, le tory John Bercow, s’adressant à la conférence annuelle du Trade Unions congress, a déclaré : « Le travail que vous faites dans la résolution des conflits, en défendant les désavantagés et agissant pour un changement progressif, mérite le respect et il a certainement le mien ». Un autre MP conservateur, David Davis, avait, précédemment, relevé que certaines mesures du trade unions bill lui rappelaient Franco

Frances O'Grady secrétaire générale du TUCMais David Cameron entend bien passer en force sur le sujet. Epaulé par une majorité solide, pour le moment et sur ce sujet tout au moins, il peut rêver d’une adoption sans que son texte ne soit trop modifié. S’exprimant devant la conférence du Trade unions congress, sa secrétaire-générale, Frances O’Grady, a prévenu : « Ce serait une erreur de voir cette attaque sur les syndicats un cas isolé. Elle s’inscrit dans une stratégie politique des Conservateurs visant à les maintenir au pouvoir pour une génération. Et nous devons prendre cette usurpation de pouvoir au sérieux. »

Nathanaël Uhl

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Bonus vidéo : Woody Guthrie – You Gotta Go Down And Join The Union

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