Europe : le face à face entre tenants de la sortie et du maintien commence

Tout le monde en piste, ou presque. Après l’entrée en lice des deux campagnes pour la sortie, c’est la campagne en faveur du maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne qui a montré son visage ce lundi 12 octobre au matin. Pendant de la campagne « Vote leave », celle des pro-européens est aussi trans partisane et axée sur les enjeux économiques. Baptisée « Britain stronger in Europe » (la Grande-Bretagne plus forte dans l’Europe), elle est présidée par un chef d’entreprise et pair conservateur du royaume. Elle est aussi placée sous le patronage des trois anciens premiers ministres : John Major, Tony Blair et Gordon Brown. Un choix qui a amené Nigel Farage, leader du parti eurosceptique UKIP et porte-parole autoproclamé de la campagne « Leave.EU », à ironiser sur « la campagne des hommes du passé et des grandes entreprises ».

Lord Stuart Rose, le président de « Britain stronger in Europe », a en effet été le patron du groupe Marks and Spencer, un mastodonte en Grande-Bretagne. Le pair du royaume, étiqueté conservateur, a répondu assez vivement, en déniant au camp « sortiste » l’appellation de « patriote » pour les qualifier de « lâcheurs ». « Les vrais patriotes ne se retirent pas, ne battent pas en retraite, ne se replient pas sur eux même », a sèchement taclé Stuart Rose. Le ton devrait donc être très viril entre les deux groupes de campagne trans partisans.

Cameron pris à son propre piège européenIl faut relever qu’aucun des deux principaux leaders politiques : Cameron pour les Conservateurs et Corbyn pour les travaillistes, ne sont représentés dans les instances de la campagne pro-européenne. Le Premier ministre doit, dans un premier temps, s’en tenir à sa promesse de renégocier avec l’Europe. Il a fait connaître, publiquement, sa feuille de route en la matière ce dimanche. Elle tient en quatre conditions qui empêchent l’Europe de devenir une véritable entité politique et qui entérinent un statut particulier pour la Grande-Bretagne, qui pourrait mettre son véto même sur des politiques auxquelles elle a choisi de ne pas s’associer. Enfin, le bloc des 28 devrait être réorganisé pour éviter que les 9 pays qui ne se trouvent pas dans l’Eurozone soient dominés par les 19 autres. Une protection particulière devrait être réservée pour la City, la place financière de Londres. Malgré mes échos plutôt négatifs en provenance d’Allemagne, le cabinet de Cameron se veut « confiant » dans l’accueil réservé à ses « propositions ».

Têtes de réseau populaires

On peut le comprendre tant le Premier ministre a besoin de munitions pour ramener les seniors du parti tory, profondément divisé sur la question européenne depuis plus de quarante ans, dans le rang. Avec Theresa May, ministre de l’Intérieur, et Boris Johnson, maire de Londres, le camp eurosceptique – traditionnellement puissant parmi les conservateurs – s’est trouvé deux têtes de réseau assez populaires : l’une auprès des militants conservateurs, l’autre apte à parler au camp d’en face. Ce n’est pas le chancelier de l’Echiquier, George Osborne, qui pourra être d’une grande aide à Cameron. Et le patronage des trois ex locataires du 10 Downing Street pourrait rapidement lui faire de l’ombre.

Stuart Rose, leader de la campagne "Britain stronger in Europe"De son côté, Jeremy Corbyn a décidé de ne pas brusquer les militants travaillistes. Considéré comme « eurosceptique » (il a voté contre l’adhésion à l’Europe en 1975), le leader du parti travailliste a récemment clarifié sa position, qui est favorable au maintien dans l’Union. Quelques figures de second rang, parmi les parlementaires, ont certes déjà rejoint le groupe « Vote leave » mais la grande majorité est plutôt engagée en faveur du maintien dans l’Union européenne. En effet, en regard de la règle qui prévaut en Grande-Bretagne, les normes européennes se révèlent plus favorables aux salariés, pour ce qui concerne le social. A titre d’exemple, la bataille sur le salaire minimum profite des avancées européennes. La question des droits de l’Homme constitue également un sujet sensible puisque la convention européenne sur le sujet permettrait de confirmer des avancées sur lesquelles les conservateurs ne cachent pas leur souhait de revenir. Le Labour prépare donc sa propre campagne, qui sera placée sous la direction d’Hilary Benn, le shadow secretary aux Affaires étrangères. Il faut se rappeler que la position europhile – récente (elle date des années 90) – du Labour l’a longtemps amené à refuser le référendum.

Face à l’argumentaire assez consensuel du camp pro-européen, essentiellement orienté sur les thèses économiquement libérales qui prévalent sur le Continent aujourd’hui, les partisans d’un maintien de gauche tardent à se faire entendre. Dans une contribution publiée mardi 13 octobre, la membre du parlement Green Caroline Lucas a proposé la mise en place d’une campagne progressiste pour que la Grande-Bretagne reste dans l’Europe. « Je suis la première à admettre que bien des personnes impliquées en faveur du maintien ne sont pas des alliés naturels. Par ailleurs, l’avenir de la Grande-Bretagne est bien trop important pour être laissé aux mains d’hommes âgés en costumes », écrit la parlementaire écolo réputée pour son langage sans apprêts. Cette position, entre charge et ouverture, vise à répondre aux arguments développés par une partie de la gauche engagée en faveur de la sortie.

En effet, ce sont surtout les thèses « sortistes » de gauche qui se font entendre aujourd’hui, notamment au sein du mouvement social. De ce point de vue, le Labour et les Greens n’auront pas la partie facile au regard de la crise grecque, laquelle a fortement marqué les esprits dans le camp progressiste. A titre d’exemple, le romancier issu de la classe ouvrière John King, auteur de Football Factory, a publié une tribune dans laquelle il explique que les arguments contre l’appartenance à l’Union européenne sont de gauche et fidèles à une tradition libérale, donc de gauche en Grande-Bretagne.

Nathanaël Uhl

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