Antisémitisme ou critique d’Israël, Corbyn finit par trancher

Pour tenter de clore l’affaire, Corbyn vient de suspendre un de ses principaux alliés au sein du Labour Party. Cette semaine, qui voyait les tories en proie à des difficultés croissantes sur le terrain social mais aussi à la chambre des Communes, a finalement été plus marquée par un nouvel avatar de la guerre civile qui déchire le parti travailliste depuis l’élection de Jeremy Corbyn comme leader. Cette fois, c’est l’accusation d’antisémitisme qui est mise en avant. Coup sur coup, le Labour a suspendu la membre du parlement pour Bradford, Naz Shah, et l’ancien maire de Londres, Ken Livingstone, allié de longue date du nouveau leader du parti.

Contrairement à ce qu’affirme Jeremy Corbyn, il y a bien une crise autour de l’antisémitisme au sein du parti travailliste. Si elle s’est accélérée ces derniers jours, les prémices remontent à plusieurs mois, au sein de l’association d’Oxford des étudiants du Labour. La volonté majoritaire des membres de cette section des Young Labour de participer à une semaine Boycott, désinvestissement, sanctions pour protester contre l’aggravation des conditions d’occupation des territoires palestiniens par Israël a donné le départ d’une de ces crises dont le Labour, et plus généralement la gauche, a le secret.

Ed Milliband, quoique juif, avait été interpellé par les soutiens à Israël

Ed Milliband, quoique juif, avait été interpellé par les soutiens à Israël

Se pose en filigrane le droit de critiquer la politique menée par le gouvernement israélien à l’encontre des Palestiniens. Au-delà, c’est la possibilité donnée, ou refusée, de questionner le sionisme, comme doctrine politique, qui est en jeu. La question n’est pas anodine. Selon des récentes études, 82% des Britanniques se revendiquant de la communauté juive se définissent eux-mêmes comme « sionistes ». Le Labour est extrêmement partagé sur le conflit israélo-palestinien. D’un côté, la gauche travailliste, nourrie à l’antiracisme (elle n’a pas hésité, dans les années 70, à participer aux coups de poing contre l’extrême-droite anglaise) et aux luttes d’émancipation nationale, est plutôt pro-palestinienne. Corbyn se rattache clairement à ce courant.

De l’autre, une forte sensibilité se dégage pour soutenir le gouvernement israélien, coûte que coûte. Cette tendance, majoritaire à la droite du Labour, tend également à soutenir la politique étrangère conservatrice britannique de soutien aux Etats-Unis et à l’OTAN. C’est de cette mouvance qu’est partie, dès la campagne pour le leadership, les accusations d’antisémitisme envers Corbyn. Elles ont été alimentées, entre autres, par ses affirmations selon lesquelles la paix passerait aussi par des discussions avec le Hezbollah et le Hamas. Comme le fait d’ailleurs… le gouvernement israélien, de manière certes discrète.

Corbyn au stand des amis travaillistes d'Israël

Corbyn au stand des amis travaillistes d’Israël

Le membre du parlement d’Islington-North n’a pas voulu rentrer dans le jeu en infirmant les rumeurs. Il considère que son passé et son engagement continu depuis le début des années 1970 plaident en sa faveur. Il a participé à plusieurs événements de la communauté juive de sa constituency. Il a lutté contre l’Apartheid et soutenu la plupart des mouvements de lutte pour les libérations nationales. Le racisme lui est totalement étranger et Corbyn fait partie de ceux qui considèrent que l’antisémitisme constitue une des formes du racisme, qu’il combat. Ceci une fois posé, pas la peine d’en rajouter, estime le vétéran socialiste.

Cette attitude n’a pas suffi à désamorcer les critiques, pas plus que son arrêt remarqué, lors de la dernière conférence du Labour, au stand des amis d’Israël. Comme Corbyn avait réaffirmé ses critiques contre la politique du gouvernement israélien et son attachement à l’existence d’un état palestinien, son procès était justifié aux yeux de ses adversaires. La nouvelle présidente de la National Union of Students (le syndicat étudiant), Malia Bouattia, subit le même traitement. On aurait pu penser qu’il s’agit là de business as usual.

Naz Shah, celle par qui le scandale revient

Naz Shah, celle par qui le scandale revient

Mais, alors que le gouvernement conservateur est en recul sur bon nombre de ses projets politiques phares, à une grosse semaine des élections locales jugées clé pour mesurer l’impact du leadership de Corbyn, une nouvelle affaire d’antisémitisme a éclaté, mettant en cause la secrétaire parlementaire privée du shadow chancelier de l’Echiquier John McDonnell. La membre du Parlement pour Bradford, Naz Shah, avait pourtant tout pour plaire. Jeune, femme, issue de l’immigration et survivante de la violence qui a marqué son enfance entre mariage forcé et tentative d’abus sexuel, elle incarnait la capacité du Labour à prendre le visage du Royaume-Uni que le parti travailliste défend. Multiculturel, ouvert sur le monde et donnant leur chance aux défavorisés.

Las, en 2014, la militante pro-palestinienne Naz Shah publie sur facebook des statuts évoquant la « rélocalisation d’Israël aux Etats-Unis » comme « solution » au conflit israélo-palestinien et invite ses followers à se mobiliser sur un sondage en ligne, signalant que « les juifs se rassemblent ». Deux ans et son élection à la chambre plus tard, ses publications refont surface en pleine période électorale. Et suscite une vague de protestation. Après avoir estimé qu’il n’y avait pas matière à poursuite, Corbyn a fini par convenir, avec l’intéressée, que Naz Shah devait être suspendue du parti.

Oxford LAbour clubL’actuel leader du Labour a enfreint à 577 reprises les consignes de son organisation. Son inclination libérale l’amène également à refuser, par principe, les sanctions pour des opinions différentes, qu’il préfère combattre par le débat. Las, Corbyn n’a pas, sur ce point, compris qu’il ne peut plus agir ainsi en tant que « patron » des travaillistes. Dans une société profondément divisée, pas plus capable que ses voisines de gérer des débats délicats sur l’identité, il faut savoir trancher. C’est la mort dans l’âme qu’il s’est résolu à mettre la jeune parlementaire à l’écart.

En revanche, il a pris moins de gants quand son allié, à défaut d’être son ami, Ken « le rouge » Livingstone a dérapé. L’ancien maire de Londres, coutumier des propos limite, a pris vertement la défense de Naz Shah. Invité à s’exprimer sur le sujet par BBC London, il a affirmé que « Hitler soutenait l’existence d’Israël jusqu’à ce qu’il devienne fou et massacre 6 millions de juifs ». Cette déclaration a suscité un tollé parmi les membres du parlement travailliste. John Mann, connu pour son engagement à l’aile droite du Labour, a qualifié Livingston de « propagandiste nazi ». Liz Kendall, Jess Philips et d’autres opposants au leader du Labour sont montés au créneau pour exiger la tête de Livingstone. Plus notable, le président de Momentum, le mouvement lancé par les proches de Corbyn en dehors du parti travailliste, a également estimé que Livingston devait « se retirer de la politique ».

Ken Livingstone est suspendu du Labour

Ken Livingstone est suspendu du Labour

Et Corbyn a tranché, suspendant sans autre forme de procès l’ancien maire de Londres et annonçant une enquête préalable à une procédure d’exclusion. Cette décision brutale a permis de rappeler les propos de John McDonnell, considéré comme le bras droit de Corbyn, tenus il y a quelques semaines. Le patron historique de la gauche du Labour avait alors affirmé que quelqu’adhérant travailliste que ce soit tenant des propos antisémites « s’exclue lui-même du parti ». Corbyn a également transformé, il y a plus d’un mois, la commission enquêtant sur la situation des étudiants travaillistes d’Oxford en commission d’enquête sur l’antisémitisme au sein de tout le Labour. A cette occasion, on a pu apprendre que deux militants ont déjà été exclus manu militari pour propos anti-juifs. Bien plus que ce qui n’a jamais été fait depuis Tony Blair jusqu’à Ed Milliband.

Jeudi, en fin d’après-midi, Jeremy Corbyn a fait une déclaration solennelle sur le sujet :

« Le parti travailliste fera preuve d’une tolérance zéro sur toutes les formes de racisme, incluant l’antisémitisme. S’il y a le moindre soupçon d’antisémitisme ou de quelque manifestation de racisme au sein du Labour, nous agirons pour nous assurer qu’elles feront l’objet d’une enquête approfondie et que les mesures appropriées soient prises »

Reste à savoir si cela suffira à ce que les rumeurs dont il continue de faire l’objet, y compris du côté d’une certaine gauche française, cessent. Rien n’est moins sûr. Le soupçon d’antisémitisme est le plus sûr moyen de pouvoir noyer son chien à terme.

Nathanaël Uhl


Bonus vidéo : The Ting Tings – Shut Up And Let Me Go

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *