Declan Kearney (Sinn Féin) : « Il est temps d’entamer le débat sur l’indépendance totale de l’Irlande »

Du Brexit à la réunification de l’Irlande ? C’est en tous cas l’ambition du Sinn Féin, le parti républicain et indépendantiste irlandais, implanté aussi bien en République d’Irlande qu’en Irlande du Nord. Declan Kearney, secrétaire général du Sinn Féin et élu à l’assemblée législative d’Irlande du Nord, est venu le rappeler à Paris, samedi 24 septembre. Il participait à une conférence organisée par le secteur Europe du Parti communiste français. Nous l’avons rencontré à cette occasion.

L’actualité politique de ce samedi est la réélection de Jeremy Corbyn à la tête du Labour party. Comment réagissez-vous à cette victoire de la gauche travailliste ?

Declan Kearney : C’est une affaire interne au parti travailliste. De l’extérieur et de l’étranger, pourtant, c’est un point positif. Nous accueillons sa réélection comme une avancée progressiste dans le paysage politique britannique. Dans un contexte où le parliamentary labour party a tenté de l’évincer, sa vision politique a bénéficié du soutien massif des adhérents. Cette réélection s’inscrit dans le développement d’une gauche de progrès.

Par ailleurs, Jeremy a toujours été un très grand ami du processus de paix en Irlande. Au début des années 90, pendant le conflit armé, il a fait partie des rares politiciens britanniques à prendre des positions courageuses. Il y a avait Corbyn, John McDonnell, Dennis Skinner et Ken Livingstone, du côté travailliste.

L’issue du référendum sur l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Union européenne semble chambouler le paysage politique britannique mais aussi irlandais. Le Sinn Féin a appelé, dès l’annonce des résultats, à un référendum sur la réunification irlandaise. Où en sommes-nous trois mois plus tard ?

Declan Kearney, Secrétaire général du Sinn Fein, Raymond Mc Cartney, ancien gréviste de la faim du Block H

Declan Kearney, Secrétaire général du Sinn Fein, Raymond Mc Cartney, ancien gréviste de la faim du Block H

D. K. : Il faut d’abord revenir à un fait. Ce résultat a pour effet de retirer la partie nord de l’Irlande de l’Union européenne alors que, à une large majorité : 55,8%, les Irlandais du Nord ont voté pour rester au sein de l’Union européenne. Si Theresa May peut dire, au nom du respect de la démocratie, que « Brexit is Brexit », le même respect de la démocratie signifie que « Remain is Remain ». Il est inconcevable que l’expression de la majorité au Nord de l’Irlande ne soit pas respectée. Tirer le Nord de l’Irlande hors de l’Union européenne serait antidémocratique et saperait la légitimité mais aussi les pouvoirs de l’Assemblée législative d’Irlande du Nord. En ce sens, le Brexit pose une vraie question constitutionnelle.

Par ailleurs, ce référendum sur l’Union européenne montre le caractère non démocratique de la partition irlandaise. Les deux parties de l’île partagent le même attachement à l’Union européenne, parce qu’elles sont habitées par un même peuple, avec une même communauté de destin. Or, si le gouvernement britannique met en œuvre l’expression de la seule volonté des Anglais et des Gallois, il y a aura une nouvelle frontière politique et économique entre Irlandais. Ce n’est pas acceptable. C’est même contraire à l’esprit des accords de paix.

Quand on regarde la cartographique des votes leave et remain dans le Nord de l’Irlande, elles semblent recouper la cartographique confessionnelle entre catholiques favorables à une Irlande unie et protestants unionistes.

D. K. : C’est une apparence trompeuse. Le résultat qui voit le camp du maintien dans l’Union européenne atteindre près de 60% des électeurs n’a pas pu être atteint sans la participation forte des deux communautés. Sans le vote d’une partie des unionistes, nous n’aurions pas obtenu une majorité semblable. Nous refusons l’idée que le Brexit réactive les divisions confessionnelles dans le Nord de l’Irlande. En revanche, il est vrai qu’une frange unioniste, la plus à droite et la plus conservatrice, celle qui n’a jamais voulu des accords de paix, a clairement soutenu un Brexit imposé par l’aile la plus à droite du parti conservateur britannique.

Dans ce contexte, comment appréciez-vous les déclarations du premier ministre irlandais qui paraît soutenir l’idée d’un référendum sur la réunification de l’Irlande ?

Frontière entre l'Irlande et l'Irlande du NordD. K. : C’est une bonne chose que des responsables des partis politiques de l’establishment prennent cette question à bras le corps. Cela montre bien que le Brexit et la partition de l’Irlande sont intimement liés. Que des politiciens commencent à défendre l’unité irlandaise va dans le bon sens. Nous proposons d’ailleurs de réunir toutes celles et tous ceux qui défendent le fait que les deux parties de l’Irlande sont à leur place en Europe à se réunir dans un forum.

Plus globalement, il faut ouvrir une nouvelle conversation sur l’avenir de l’Irlande. Dans ce contexte d’incertitude institutionnelle, politique, économique, il faut désormais réévaluer les rapports entre la Grande-Bretagne et l’Irlande. C’est en tous cas ce que nous défendons.

Comment appréciez-vous la suggestion de la leader de Plaid Cymru d’une nouvelle union des nations, qui semble avancer vers la vision d’une Grande-Bretagne fédérale ?

D. K. : Les trois assemblées régionales : Ecosse, Irlande du Nord et Pays-de-Galles se sont déjà rencontrées pour tâcher d’établir une plateforme commune. Elles sont effectivement frappées de manière profonde par le Brexit. Plus au fond, sans aucun doute, nous sommes au bord de l’explosion de la Grande-Bretagne. Mais, pour nous, il est temps d’avoir une discussion approfondie sur une vraie et totale indépendance irlandaise à l’intérieur de l’Union européenne.

Propos recueillis par Nathanaël Uhl

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