Brexit : Jeremy Corbyn s’engage en faveur de l’union douanière avec l’Europe
CORBYN FELICITE PAR LES SYNDICATS ET LE MONDE DES AFFAIRES. Confirmant les signes observés ces derniers jours, le leader du parti travailliste a affirmé, dans un discours très attendu, que le Labour soutient l’appartenance du Royaume-Uni à l’union douanière de l’Europe des 27. Cette prise de parole a eu lieu à l’université de Conventry, ce lundi 26 février. Il a en revanche écarté la possibilité d’une adhésion maintenue au marché unique dans l’état actuel et a confirmé que « la liberté de mouvement prendra fin quand le Royaume-Uni quittera l’Union européenne ». Une manière de tenir, encore, les deux bouts de l’électorat travailliste ou, à tout le moins, d’essayer.
Après avoir rappelé que le Labour « respecte le résultat » de juin 2016, Jeremy Corbyn, eurosceptique de formation mais pragmatique, a posé, rapidement, les bases de son propos en reprenant sa ligne « Les emplois d’abord » :
« La plupart des gens dans notre pays, qu’ils aient voté pour le maintien ou pour la sortie de l’Union européenne, veulent de meilleurs emplois, davantage d’investissements, des droits plus forts et une plus grande équité ».
Corbyn a proposé de maintenir avec l’Union européenne une union douanière conforme à celle qui existe, en échange d’une négociation, sur un pied d’égalité, des futurs traités commerciaux de l’Union européenne.
Il s’est également engagé à protéger les droits européens existant, et donc le lien avec la Cour européenne de justice ou la Cour européenne des droits de l’Homme (qui dépend du conseil de l’Europe), lesquelles figurent dans le collimateur de la tendance dure des conservateurs favorables au Brexit. Cette affirmation n’a rien de surprenante. Elle reprend l’exigence des syndicats, principaux alliés de Corbyn au sein du Labour. Pour le Trade Unions Council (TUC – la confédération des syndicats), l’accès à ces juridictions sont essentielles tant la législation sociale britannique est faible.
La réaction des syndicalistes ne s’est pas faite attendre. Len McCluskey, secrétaire générale de Unite, le plus important syndicat britannique, s’est félicité que le Labour « prenne appui sur les accords commerciaux existants qui soutiennent des millions d’emplois dans ce pays« . Frances O’Grady, la secrétaire générale du TUC, a salué « un pas en avant bienvenu » en rappelant :
« (Le discours de Jeremy Corbyn) apporte aux travailleurs quelques unes des réponses concernant la manière dont leurs emploi, leurs droits, leurs moyens de subsistance seront préservés. Il a également mis en lumière la menace que le gouvernement fait peser sur l’emploi industriel en posant une ligne rouge à propos de l’union douanière. »
En revanche, le leader travailliste a souhaité un « lien renouvelé et renforcé avec le marché unique » européen tout en revendiquant des « protections, clarifications et exceptions » aux règles. Il s’agit de préserver la possibilité, pour un gouvernement travailliste, d’abonder des aides aux entreprises en difficultés, de nationaliser des secteurs d’activités stratégiques mais aussi de mettre fin au détachement de travailleurs à bas coût. Il a enfin promis, s’il vient au pouvoir, de continuer à financer certaines des agences européennes plutôt que de « doubler la dépense » en les dupliquant en Grande-Bretagne. Il a, par exemple, cité Euratom, l’agence européenne de régulation du nucléaire.
Jeremy Corbyn a été plus ambigu sur la question de la liberté de mouvement. Au coeur des mouvements migratoires intra européens, elle nourrit une part du ressentiment en direction des ressortissants européens qui vivent en Grande-Bretagne, notamment la communauté polonaise. Le leader du Labour a affirmé : « C’est un fait que la liberté de mouvement prendra fin quand nous sortirons de l’Union européenne » en mars 2019. Ce geste, destiné aux électeurs travaillistes qui avaient opté pour le Brexit, a été immédiatement assoupli.
Corbyn a rappelé « nous ne ferons pas la même chose que ce gouvernement, qui campe sur des lignes extrêmement dures sur l’immigration« . Il a affirmé qu’il mettrait l’économie et l’emploi en première place devant les « objectifs factices en termes d’immigration« . Des secteurs d’activités dépendent lourdement de l’apport de main d’oeuvre étrangère, y compris qualifiée, pour continuer à fonctionner. C’est le cas du National Health Service, entre autres.
La clarification opérée par le leader travailliste a été saluée par les dirigeants patronaux. Ainsi, la directrice générale de la Confederation of British Industry (CBI – confédération de l’industrie britannique), Carolyn Fairbairn, a relevé que l’engagement de Corbyn « met au premier plan les emplois et les conditions de vie en maintenant une relation économique étroite avec l’Union européenne« . Elle a tout de même noté que « des questions demeurent » surtout sur les renationalisations.
Stephen Martin, directeur général de Institute of Directors (IOD – l’institut des dirigeants, une autre organisation patronale), a reconnu que le leader du Labour « élargit le débat » et que les entrepreneurs seraient ravis que l’union douanière demeure une possibilité pour la Grande-Bretagne.
Si Chuka Ummuna, le plus en vue des europhiles du Labour, a salué « le consensus (qui) existe désormais sur l’union douanière » au sein du parti travailliste, les débats internes ne sont pas clos. Les modérés vont tâcher de pousser leur avantage pour obtenir un engagement plus ferme en faveur du marché unique. Et c’est donc la gauche favorable au Brexit qui, désormais, s’en prend au leader du parti.
La plupart des observateurs s’accordent à reconnaître que Corbyn a marqué un point sérieux face au gouvernement conservateur, lequel n’a toujours pas fait connaître sa position malgré deux séminaires successifs. Pour l’heure, on sait juste qu’après plusieurs hésitations et propos contradictoires, Theresa May s’oppose désormais au maintien dans l’union douanière actuelle. La première ministre doit, à son tour, prononcer un discours sur le Brexit, vendredi.
Avec son intervention du jour, Corbyn apparaît à front renversé avec l’image qui lui est régulièrement accolée. Il est loué comme pragmatique et renvoie l’accusation de posture idéologique au parti conservateur. A quelques semaines des élections locales, ce n’est pas qu’une petite victoire pour le patron du Labour.