Le Brexit plonge le Labour et les Conservateurs dans le chaos
Les Britanniques ont voté. Le Brexit est confirmé. Les têtes doivent tomber. Au sein des deux partis majeurs de la vie politique outre-Manche, le résultat du référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne provoque des secousses telluriques de grande ampleur. Première victime de ce qui apparaît, pour Westminster, comme un désastre, le Premier ministre David Cameron a démissionné dès les premières heures de ce vendredi 24 juin. Quelques heures plus tard, le leader du parti travailliste a été mis en accusation et pourrait faire face à un vote de défiance, dès lundi, lors de la prochaine réunion du Parliamentary Labour party.
David Cameron s’était refusé à démissionner en cas de victoire du Brexit. Il l’avait rappelé à plusieurs reprises. Mais la nature de la campagne, qui a volé très bas des deux côtés, ne laissait guère de place à un gentlemen agreement. Comme dans toute guerre civile, celle qui agitait le camp conservateur ne laissait aucune place à un compromis. Cameron en a tiré les conséquences et a présenté sa démission. Pourtant, la veille, 86 membres tories du parlement avaient écrit un courrier assurant le leader de leur party de leur soutien en cas de victoire du camp sortiste.
David Cameron a annoncé que sa succession serait l’objet de la conférence du parti conservateur d’octobre prochain. Deux noms devraient rapidement être connus et présentés aux quelque 155.000 militants qui auront le dernier mot. L’ancien maire de Londres, Boris Johnson, un des hérauts du Brexit, fait figure de grand favori pour remplacer son meilleur ennemi à Downing Street. George Osborne, dauphin putatif de Cameron, était déjà démonétisé par des décisions qui ont causé des fractures au sein des parlementaires tories. La défaite du camp du maintien a fini d’anéantir ses dernières chances.
Le choix de David Cameron de remettre sa succession entre les mains de la conférence d’automne des tories ne doit rien au hasard. Le parti conservateur est toujours majoritaire à la chambre des Communes. Son chef est donc naturellement appelé à occuper le poste de premier ministre. En jouant la règle du légalisme de parti, il tente de préserver son image auprès des militants conservateurs et, surtout, évite de mettre en danger la majorité dont il dispose encore. Ce procédé évite en effet de passer par une élection générale, au résultat bien improbable.
Corbyn, qui pariait sur une élection anticipée, se retrouve dans la nasse à son tour. Dès les résultats définitifs connus, il a été pris pour cible par son opposition qui n’a jamais désarmé, même pendant la campagne. Tony Blair, ancien premier ministre, a critiqué un positionnement « tiède » du Labour dans la campagne référendaire. Lord Mandelson, ancien ministre de Blair et ancien commissaire européen, a tapé plus durement encore. Il a dénoncé « l’étrange mutisme » du leader travailliste avant d’indiquer que « lorsque (Corbyn) a pris la parole, ses messages étaient assez mitigés ». Le discours critique du membre du parlement pour Islington-North sur l’Union européenne, son refus de considérer l’immigration comme « un problème » et sa décision de ne pas partager de tribune avec David Cameron pendant la campagne sont particulièrement mis en cause par la droite travailliste.
Jeremy Corbyn a préféré ne pas répondre. Les chiffres parlent pour lui. Dans sa constituency d’Islington-North, le vote en faveur du maintien atteint 75% des suffrages. Avec une participation de 70% des inscrits, c’est le 4e meilleur score de Londres.
Son équipe a fait circuler un argumentaire, dès les premières heures du jour, pour tenter de donner une ligne politique claire. Selon le document que s’est procuré The Spectator, les électeurs travaillistes auraient utilisé le référendum pour « virer le gouvernement conservateur » puis affirme que « Jeremy Corbyn a montré qu’il est bien plus près du centre de gravité politique britannique que n’importe quel autre responsable politique. Il est le seul à pouvoir unifier un pays divisé car i lest capable de parler aux deux camps (celui du Brexit et du remain)”.
Cette feuille de route a déclenché la fureur des opposants au leader, issu de l’aile gauche du Labour. Deux membres travaillistes du parlement, Margaret Hodge et Ann Coffey, ont déposé avant midi une motion de défiance vis-à-vis du leader du Labour. Il appartient à John Cryer, président du Parliamentary Labour party (PLP – une des trois composantes statutaires du parti travailliste), de décider si elle est recevable ou pas. Sauf surprise, la motion sera présentée à la prochaine réunion du PLP, prévue lundi soir. Elle sera plus que certainement mise aux voix mardi à bulletins secrets et Corbyn débarqué, provoquant l’élection d’un nouveau leader.
Les partisans de Corbyn ont répliqué en initiant une pétition en ligne, présentée comme une « motion de confiance » envers le vétéran socialiste. En une heure, elle avait récolté 11,000 signatures ; à 16h15, elle en comptait 42,326. Mais ce geste ne compte guère aux yeux des membres travaillistes du parlement. Une majorité relative d’entre-eux n’a jamais accepté son élection. L’occasion d’en finir avec Corbyn est trop belle pour qu’ils la ratent.
Signe de la tension qui monte, en fin de journée, les leaders des 12 syndicats membres du Labour ont publié un communiqué commun. Sous des mots convenus mais fermes, ils ont appelé le PLP au calme. « Dans cette période, la dernière chose dont le parti travailliste a besoin c’est d’une crise de leadership », déclarent-ils. Ils écrivent par ailleurs « nous souhaitons que les membres du parlement ne se lancent pas dans une telle aventure ». Les syndicats sont les principaux bailleurs de fonds du Labour.
Décidément, le résultat du référendum, dont la seule raison d’être était d’apaiser les conservateurs eurosceptiques, aura bien des effets secondaires. Pour l’heure, les Greens et les Lib Dems semblent à l’écart des secousses.
Nathanaël Uhl
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Bonus vidéo : Manowar – Hail To England