Parti conservateur : Theresa May solde les héritages et enterre l’ultra-libéralisme
Pour les observateurs même les plus avertis de la politique britannique, Theresa May a toujours été un mystère. Son discours de clôture de la conférence annuelle des conservateurs ne les aidera pas à s’y retrouver. Sauf à changer de grille d’analyse. La première ministre du Royaume-Uni a profité de son intervention pour confirmer le changement de logiciel auquel elle procède depuis son entrée à Downing Street. On la croyait thatchérite, elle confirme ce que laissait entrevoir son premier discours en tant que première ministre : elle en finit avec l’ultra-libéralisme.
Theresa May ne garde de sa prédécesseure que le nationalisme anglais. Elle s’est taillée un franc succès à l’applaudimètre quand elle a annoncé qu’elle veut suspendre les droits de l’Homme en période de conflit et, en tous cas, y soustraire les troupes britanniques en opération. Ce, après avoir vilipendé les « activistes et avocats gauchistes ». Compléetant la relecture complète des orientations du parti conservateur, elle affirme une ligne dure sur l’immigration, qui donne le cap sur son interprétation du Brexit. En l’espèce, elle n’a guère d’efforts à faire par rapport à la période où, secrétaire d’Etat à l’Intérieur, elle était en charge du dossier. Elle a laissé à sa successeure, Amber Rudd, le soin de demander aux entreprises britanniques de dresser la liste des travailleurs immigrés. Les établissements scolaires devraient bientôt faire de même.
Theresa May s’est gardé le beau rôle, celui d’avertir les entreprises « qui se comportent mal », ce qui inclut, par exemple, le fait d’employer des travailleurs étrangers plutôt que des jeunes britanniques en formation. Mais elle a ajouté, parmi les exemples de mauvais comportements, le refus de coopérer dans la lutte contre le terrorisme ou le fait de « mal traiter leurs salariés ». Cette sortie constitue la première étape d’un « recentrage » du parti conservateur vers la gauche, afin de capter à nouveau une partie de la classe ouvrière qui ne se retrouverait pas dans le Labour version Corbyn. Un parti qu’elle qualifie de « nasty party », appellation qu’elle réservait au sien dix ans plus tôt.
Poursuivant son offensive en direction de la classe ouvrière, elle a défendu l’intervention de l’Etat en affirmant que « le meilleur moyen de défendre le capitalisme est de le réformer ». Elle avait déjà scellé la fin de l’ultra-libéralisme comme doctrine des tories lors de son discours consacré au Brexit. Elle avait alors préféré le contrôle de l’immigration à la libre circulation des marchandises. Précisant encore son propos, elle a martelé :
« Il est temps de se rappeler le bien que l’Etat peut faire. L’Etat est là pour apporter ce que les individus et le marché ne peut pas faire. »
Il ne s’agit pas d’une nouveauté dans le discours de Theresa May. Lors de sa campagne en vue du leadership des Tories, elle avait déjà proposé la participation de représentants des salariés mais aussi « des consommateurs » aux conseils d’administration des entreprises. Elle a également mis en avant le fait que le Brexit ne sera pas l’occasion de privatiser le National Health Service ou de remettre en cause les droits des travailleurs. C’est pour donner du crédit à cette dernière affirmation qu’elle avait pris le soin de préciser que les lois européennes seraient intégrées dans la loi britannique dans le cadre du Great Repeal Bill. May a enfin développé sa vision du « one nation conservatism » cher à David Cameron :
« Je veux que la Grande-Bretagne ne soit pas un pays pour une poignée de privilégiés mais pour chacun d’entre nous ».
Le précédent locataire de Downing Street n’a pas été épargné par la nouvelle occupante des lieux. Avec des accents que ne renieraient ni Trump ni le mouvement Cinq étoiles en Italie, elle a pris à partie les élites qui refusent de prendre en compte la colère du peuple et voudraient remettre en cause le résultat du référendum du 24 juin dernier. Dans le même état d’esprit, elle a qualifié le vote des Britanniques de « révolution soft », laissant entendre qu’elle se situait de leur côté. Elle n’aura pas beaucoup d’efforts à faire : contrairement à une idée reçue véhiculée par les grands médias français, Theresa May n’a jamais été une europhile.
Pour brouiller encore un peu plus les pistes, elle a émaillé son discours de références choisies : à Disraeli, premier ministre de la Reine Victoria, quand le drapeau britannique dominait le monde ; Churchill ; Clement Attlee, le premier ministre travailliste qui a mené la nationalisation d’un tiers de l’économie britannique ; Margaret Thatcher, « qui (nous) a appris que nous pouvions à nouveau rêver en grand ». Theresa May fait donc un grand écart entre principes très conservateurs sur la nation – britannique mais dominée par l’Angleterre – et l’éducation avec le retour des très sélectives Grammar Schools, d’un côté, et une vision économique où l’intervention de l’Etat a pour vocation d’en finir avec la lutte des classes.
Ce discours a provoqué une onde de choc en Grande-Bretagne. Les premiers effets s’en sont fait ressentir jusqu’au parti europhobe et anti-immigration UKIP. Plusieurs de ses dirigeants, dont le favori à la succession de Nigel Farage, l’ont salué. Steven Woolfe aurait même évoqué sa défection possible vers le parti conservateur, voire un rapprochement entre UKIP et les tories sur la base des orientations défendues par Theresa May.
Nathanaël Uhl
Euh, remplacer l’ultra-libéralisme par une sorte de fascisme larvé, ce n’est pas un glissement vers la gauche, sauf à admettre Mussolini au panthéon de la gauche !
Aucun de nous n’a qualifié le projet politique de Madame May comme « de gauche ». Nous avons relevé qu’elle incorporait dans son agenda des axes traditionnellement de gauche. Pour le reste, les analyses appartiennent au lecteur. Nous nous contentons de rappeler les faits.