De l’acier aux #PanamaPapers, Cameron pris en étau

On n’est jamais mieux trahi que par les siens. David Cameron en fait, en ce moment, l’amère expérience. Il se sentait solide près d’un an après sa victoire surprise aux élections générales et après un sommet qui a vu l’Europe accéder à toutes ses demandes. Le premier ministre britannique se voyait tranquille à Downing Street, savourant un référendum qu’il pensait gagné d’avance et faisant passer son budget 2016 en douceur. Las, il n’en est rien. La crise de la sidérurgie a ouvert un nouveau front alors que la maison Tory craque de tous côtés. Last but not least, les révélations #PanamaPapers le mouillent directement. Son propre père, bien que décédé, figure aux côtés de trois pairs conservateurs dans la liste de ceux qui ont eu recours à des sociétés offshore pour blanchir l’argent de la fraude fiscale. La forte probabilité que des donateurs du parti travailliste soient prochainement éclaboussés fait figure de piètre consolation.

Après la crise interne qui a généré une marche arrière caractérisée sur les allocations pour handicapés, Cameron et Osborne sont confrontés à une nouvelle rébellion des backbenches tories. Cette fois, c’est le processus d’académisation des écoles anglaises, leur privatisation, qui est à l’origine de la fronde. Initiée par les conseillers locaux du parti conservateur, qui n’ont pas hésité à s’allier à leurs homologues travaillistes et libéraux-démocrates, c’est le redouté 1922 committee, qui a fait connaître son opposition à la réforme, sur le fond comme sur la forme.

Le puissant 1922 Committee rassemble les bakbenches tories

Le puissant 1922 Committee rassemble les bakbenches tories

Graham Brady, président du comité qui réunit la frange la plus conservatrice des tories, a sévèrement taclé le Chancelier de l’Echiquier et la Secrétaire d’Etat à l’Education, Nicky Morgan. Evoquant le plan d’académisation, dont le coût semble de plus avoir été sous-évalué, le puissant patron du 1922 Committee, a évoqué une réforme qui « risque de créer une nouvelle bureaucratie éloignée » des citoyens, plutôt que de conférer plus de liberté et d’autonomie aux écoles. Il a enfin dénoncé une mesure qui éloignera les parents des organes de gouvernance, les rendant encore moins aptes à rendre des comptes. Si Cameron voulait mesurer la résistance à ses projets de confier l’éducation aux grands groupes financiers, c’est réussi.

Las, la semaine passée, Nicky Morgan avait insisté : sa réforme ne serait ni modifiée ni reculée. Le cabinet va devoir revoir sa copie ou heurter de front des backbanches conservateurs déjà remontés comme des pendules après le double échec sur les crédits d’impôts aux familles en difficultés et sur les allocations handicapées. Et comme de juste, c’est dans ce contexte que Boris Johnson, maire de Londres et désormais figure de proue du Brexit conservateur, a décidé de taper comme un sourd. Il a accusé l’Europe de priver la Grande-Bretagne des moyens de sauver sa sidérurgie. Alors que le groupe Tata Steel, propriétaire actuel de la métallurgie britonne, a annoncé son intention de vendre à l’encan ses sites britanniques, l’attaque de « Bo Jo » fait figure de tir de barrage sur une ambulance. Mais aussi de mensonge par omission.

sajid-javid

Secrétaire d’Etat au Business, Sajid Javid pourrait connaître une fin de contrat anticipée.

En effet, le Labour a opportunément rappelé que c’est Cameron lui-même qui a utilisé sa position pour empêcher l’Union européenne d’augmenter les tarifs d’importation de l’acier chinois, principal concurrent de l’acier britannique… Un rappel qui tombe bien mal pour Javid Sajid, le secrétaire d’Etat à l’Economie, de plus en plus fragilisé. Alors qu’il était informé de la tenue d’une réunion de crise à Mumbaï, siège de Tata Steel, l’héritier des thèses de Milton Friedmann a préféré s’envoler pour l’Australie. Il a donc laissé la place à Stephen Kinnock, membre du parlement – travailliste – pour Aberavon, constituency où est installée Port Talbot, le plus grand centre de production d’acier du Royaume-Uni, qui accompagnait une délégation du Trade Union Congress. Depuis, le Labour demande la démission de Javid Sajid. Lequel n’en rate pas une : alors qu’une de ses collaboratrices et néanmoins ministre laissait entendre que le gouvernement pouvait envisager une nationalisation temporaire de l’acier, il a retoqué cette perspective. Avant de laisser entendre que, peut-être, finalement, cela pourrait s’étudier…

Sur l’acier, Cameron est également attaqué pour son manque de réactivité. Alors que Jeremy Corbyn, leader du parti travailliste, s’est rendu dès le 30 mars à Port Talbot, les réactions de haut niveau se sont faites attendre côté gouvernement. Alors que le Labour a lancé une pétition en ce sens, le Premier ministre refuse toujours de rappeler la Chambre des Communes pour un débat urgent concernant l’avenir de l’acier britannique. On a appris, vendredi dernier, que l’assemblée nationale du Pays-de-Galles interrompait ses vacances pour débattre de cette situation dès ce lundi 4 avril. C’est le premier ministre Gallois, le travailliste Carwin Jones, qui a pris cette décision symbolique. Et qui illustre encore plus l’inertie du cabinet Cameron.

Ian Cameron, père du Premier ministre, figure dans les petits papiers de Panama

Ian Cameron, père du Premier ministre, figure dans les petits papiers de Panama

Si ces imbroglios, dont les tories pro Brexit ne manquent pas de profiter, ne suffisaient pas, les #PanmaPapers achèvent de mettre Cameron à mal. Le Premier ministre s’était déclaré, en son temps, favorable à une transparence totale sur les relations entre politiques et argent. Et voilà que les révélations sur le plus grand circuit de blanchiment d’argent sale et de fraude fiscale viennent l’éclabousser quasi directement. Le nom de son défunt père apparaît en haut de la liste des Britanniques ayant eu recours à des sociétés offshore pour blanchir l’argent de la fraude fiscale. A ses côtés, au moins trois pairs conservateurs du Royaume dont l’un est aussi un des grands bailleurs de fonds du parti tory…

Certes, les prochaines révélations risquent bien de mettre en lumière des donateurs du Parti travailliste. Mais ce serait un piètre lot de consolation pour David Cameron. Le premier ministre affronte là sa première crise majeure. Et sa faiblesse est que cette crise se traduit par plusieurs fronts simultanés. Or, Cameron n’est pas le plus doué des pompiers, tant il peut paraître pyromane par moments. Et Osborne, avec son idéologie rigide, ne lui est d’aucun secours. Les deux sont victimes de leur talon d’Achille : une arrogance qui les amène à croire qu’ils sont intouchables. Or, ils sont sérieusement touchés. Il faudra attendre le résultat du référendum pour confirmer, ou non, qu’ils sont coulés. Leur défaite aux élections locales de mai prochain semble, elle, courue d’avance.

Nathanaël Uhl

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